mardi 17 avril 2012

L’IMPOSSIBLE “QUADRATURE”


Une des difficultés qui sont les nôtres, pour pouvoir faire face efficacement, aux épreuves qui tourmentent actuellement notre société, tient au fait que depuis quelques années déjà, il s’est produit une surprenante et totale identification, entre “l’objectivité” des épreuves, et les insuffisances dans notre capacité à y faire face, ces deux aspects normalement distincts, n’étant plus traités que comme un seul et même problème.

C’est ainsi que la redoutable crise financière qui nous affecte, semble expliquer, voir justifier, pour beaucoup d’entre nous, et tout simplement par ce qu’elle est, l’incapacité qui, à cette heure, semble être celle de la nation à la surmonter. Or, il doit être bien entendu qu’entre la rudesse de l’épreuve, et la plus ou moins grande efficacité de la défense, il s’agit là de deux données distinctes, et du rapport desquelles justement, dépend le résultat. Car n’en faire qu’un seul problème, selon lequel la faiblesse de la défense serait corrélative à la nature de l’attaque, c’est en accepter la fatalité. Considérons loin de cela, qu’une nation peut être contrainte d’affronter une terrible épreuve telle que la guerre, sans pour cela être sans moyen de défense, et bien des nations face à cette épreuve, finissent par en triompher.

Dès lors, aussi grave soit-elle, la crise financière ne peut expliquer, et ne doit surtout pas justifier, notre actuel désarroi, sauf à dire qu’en réalité, il n’existe pas de stricte objectivité de cette épreuve, et que cette crise financière n’est tout simplement que la traduction de la faiblesse elle-même des états.

Ce qui nous conduit à cette identification, c’est que nous avons pu constater que ce sont les mêmes hommes, appartenant aux mêmes “confréries”, qui se trouvent tout à la fois, à la tête des états, et à la tête des puissantes institutions financières par lesquelles le scandale est arrivé, et qu’un affaiblissement des états, qu’on peut bien sûr supposer accidentel, même s’il s’est opéré par ceux-là mêmes dont la charge était de les protéger, semble bien avoir constitué l’occasion de la prise indirecte du pouvoir en ceux-ci, par ces institutions financières.

En fait, il y aurait donc eu “trahison”, mais le mot ne sera jamais prononcé par d’aucun, tant l’écrasante responsabilité qu’il exige d’endosser aussitôt, c’est à dire bouter sans plus attendre les félons hors du Palais, est dissuasive. Cependant, toute cette affaire met en évidence une forme de notre “inconséquence” collective, qui consiste à ne jamais nous inquiéter de savoir si notre nation se trouve dans la pleine disposition de tous ses moyens, pour pouvoir faire face à la grande diversité des épreuves de notre époque, où la concurrence de plus en plus forte entre les nations, a élargi considérablement le champ des affrontements, à de nombreux domaines.

Nous ne sommes habituellement vigilants, que quant à notre capacité de défense militaire, et il est vrai que nous avons été pour cela, à l’école de l’Histoire. Mais les temps ont changé, et il est manifeste que les Etats Unis d’Amérique par exemple, réputés constituer la première puissance militaire au monde, mais qui, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, n’ont quasiment subi que des défaites, parfois même humiliantes, dans tous les engagements militaires qui furent les leurs, et ils furent nombreux, présentent une “faiblesse” constante, qui ne doit rien à la qualité de leur armée.

En réalité, par delà les forces armées, la solidité de la nation face aux épreuves et aux défis, s’établit sur une pluralité d’autres dispositions parmi lesquelles les plus évidentes sont bien sûr, ses capacités économiques, industrielles, logistiques, et technologiques, sa capacité d’autosuffisance alimentaire, et énergétique, mais également, la compétence de ses chefs, la solidité et la cohésion de sa structure sociale, la richesse et l’authenticité de sa production culturelle, et corrélativement, la pertinence de l’idéologie dominante qui l’anime.

Mais, c’est dans la foulée de cette dernière disposition, que se situe celle qui, pour n’être jamais l’objet ni d’observations ni de débats, sauf de façon dévoyée et malhonnête, comme moyen de racolage électoral, est des plus importantes, sinon la plus importante, et qui est la “représentation” que la nation se fait d’elle-même, son “imaginaire” national, même si celui-ci se trouve éloigné de la réalité, parce que c’est selon lui qu’elle peut se trouver plus ou moins fortement “déterminée”, et par cela, en capacité “d’affronter”.

Cette détermination s’établit alors, entre un “mythe fondateur”, qui justifie la nation à son propre regard, dans “ce qu’elle est”, et un mythe du progrès qui la justifie cette fois, dans “ce qu’elle fait”.

Or, c’est la nécessité fonctionnelle de cet imaginaire, qui fait que la France actuelle se trouve à la croisée des chemins. Elle imposera à son peuple de faire des choix cornéliens, afin de conserver à ce pays une chance de pouvoir se rétablir dans son “intégrité”, ce qui n’est plus le cas depuis plusieurs décennies...

L’intégrité, c’est cette nécessité des choses qui fait que, même la plus luxueuse et la plus puissante des limousines du marché, si elle se trouve privée de la petite cellule totalement insignifiante qui commande l’allumage, elle ne peut pas fonctionner, et ne sert alors à rien, aussi luxueuse et puissante qu’elle soit par ailleurs.

Parler ainsi d’intégrité, c’est dire la nécessité d’une parfaite cohésion et solidarité entre les différents éléments d’une structure, pour que celle-ci puisse correctement fonctionner, ce qui impose comme examen aux Français, de s’assurer à la fois, de leur parfaite cohésion dans ce à quoi ils veulent faire partie, et de la parfaite cohésion en eux de ce dont ils veulent faire une partie d’eux...

Car, la France ne peut désormais plus demeurer inscrite, selon les “quatre dimensions” qui furent historiquement les siennes trois siècles durant, l’hexagonale, l’européenne, l’impériale, et l’universelle. Il lui faudra renoncer dans la douleur, à l’une ou plusieurs de ces dimensions, pour pouvoir tenter son intégrité, et telle est donc, son “impossible quadrature”.

Historiquement, par delà l’épisode lointain de la gaule qui du attendre Vercingétorix pour se trouver un chef fédérateur, ce pays a tout d’abord possédé une dimension européenne, à une époque ou ce continent n’était pas structuré selon la pluralité de nations centralisées que nous lui connaissons aujourd’hui, et où, suite à l’effondrement de l’empire romain, la mobilité des peuples ne donnait pas beaucoup de signification à la notion de frontière, ni donc, à celle territoriale de nation.

De fait, il s’est constitué d’une pluralité de peuplades et de territoires européens, et il ne doit contre la “pagaille gauloise”, qu’à la hargne guerrière, autoritaire, et centralisatrice des rois de France, relayée bien plus tard par l’empire et la république, de s’être graduellement installé selon sa dimension hexagonale. Et ceci notons le bien, contre tout le reste de l’Europe, car ne pas se souvenir que la France ne s’est justement établie telle qu’elle est, que selon cette opposition, pose aujourd’hui un très délicat problème, puisque l’intégration européenne, estompe fatalement et mécaniquement, de plus en plus, cette construction qui constitue pourtant, l’élément principal de l’identité nationale...

Nous sommes aujourd’hui avec des “souverainistes”, qui refusent en bloc, l’Europe, l’Euro, et tout ce qui relève du genre, contestant une construction qui a pourtant ses vertus, mais qui ne pouvait évidemment pas aller positivement jusqu’au degré d’intégration qu’on lui a fait prendre aujourd’hui, et contre la volonté du peuple qui avait refusé le traité de Lisbonne, sans que les citoyens ne se sentent atteints, dans les options préférentielles identitaires, de leur mode de vie. Curieusement, on trouve dans leur foulée, les “racistes”, qui sont eux aussi anti-européens, alors même qu’ils ne se reconnaissent comme principal élément de leur identité, que leur appartenance à la race blanche européenne.

Face à ceux-là, on trouve les “européistes”, en quête d’efficacité, pour lesquels l’union fait la force, et peu importe la façon dont on y arrive, ni dans quel état on y arrive, pourvu seulement qu’on y arrive. Se souvenant de l’époque humiliante où le franc national se trouvait régulièrement dévalué face au puissant mark allemand, et conscients que le règlement de nombreux problèmes tels que ceux relatifs au système monétaire ou à l’écologie, ne peuvent trouver de solution dans le cadre strictement national, ils font le constat de l’incapacité de la nation à se sortir isolément, de son embarras.

Ils feignent alors leur joie, et leur fierté d’une identité européenne convenue et de bon ton, mais ne trompent pas grand monde, car il faut tout simplement le constater, les Français, même beaucoup de ceux qui en sont partisans par raison, n’aiment pas cette Europe, non pas tant, parce que certains proclament à tort, qu’elle pose plus de problème qu’elle n’en résout, ce qui est faux et très injuste à son égard, mais tout simplement, à cause d’un manque fondamental d’affinité, pour des raisons historiques et culturelles.

En fait, la dimension européenne de la France, est restée longtemps comme allant de soi, et sans poser aucun problème aux Français, parce qu’elle consistait tout simplement en le fait pour ceux-ci, de dominer cette Europe, ce qu’ils ont fait des siècles durant, et il fallait bien qu’ils soient européens, pour en avoir l’occasion...

La véritable place de la France, telle qu’elle se voit encore, et c’est peut-être là, qu’une révision douloureuse devra se faire, dans cette Europe, c’est à dire la parfaite cohérence entre ce qu’elle est ou qu’elle se prétend, avec ce à quoi elle veut appartenir, ne peut être que comme moteur et directeur de cette Europe, et il faut reconnaitre que tout s’est bien passé, tant qu’elle le fut, puisqu’elle le fut.

Mais, c’est justement ce qu’aujourd’hui la France ne peut plus faire, et ceci, non pas à cause de son affaiblissement relatif, car même si celui-ci est réel, elle demeure cependant, une très puissante et intimidante nation, et vient de le montrer, même si ce fut sous de mauvais prétextes, sur des théâtres étrangers, mais tout simplement parce que ce rôle moteur à exercer par elle en Europe, n’existe plus...!

En effet, par delà les sommets franco-allemands qui alimentent les gazettes, inspirent les humoristes, et tentent encore de faire illusion, rien ni personne ne dirige plus cette Europe à veau l’eau, parce qu’il y manque pour cela l’essentiel, c’est à dire une “pensée directrice”, un projet, une ambition, une utopie. Et, décevant l’espérance des “indignés” du monde entier, qui, se souvenant qu’il était jusque là de tradition, que les idées sociales naissant à Paris, finissent par gagner le reste de la planète, attendaient qu’il vienne de là, le renfort exemplaire et les mots d’ordres “progressistes”, qui aurait fait trembler les puissants contre lesquels ils luttent déjà, il est clair que ce n’est pas de la triste indolence d’un peuple français totalement anesthésié par la puissance médiatique, que va émerger le grand leader charismatique attendu, ni le nouveau texte fondateur.

Dès lors, comment sera-t-il possible pour la France, de s’établir en parfaite cohésion avec les autres nations européennes, afin d’assumer pleinement et sagement cette dimension, dans une Europe dont la réalité économique a fait de l’Allemagne le premier de la classe, sans qu’elle ne se résigne finalement à y occuper en l’assumant sereinement, une place de simple petite province européenne parmi d’autres ? Il lui faudrait sans regrets, tourner la page sur des siècles d’Histoire. Le fera-t-elle ?

Par le génie de ses savants, de ses intellectuels, de ses philosophes et de ses artistes, qui ont tant apporté au monde, l’empathie de ses humanistes, la fougue de ses révolutionnaires, l’audace de ses explorateurs et de ses entrepreneurs, ce pays avait acquis au cours des siècles, une dimension “universelle”. C’est ainsi qu’après avoir donné au monde, la “mesure”, celle de l’espace avec le système métrique, et celle du temps avec l’heure universelle, réglée depuis l’observatoire de Paris, il fut à l’origine de la plupart des grandes institutions internationales. Ainsi en a-t-il été de la Société des Nations, l’ancêtre des Nations Unies, qui bien sûr se fit sous l’initiative du président américain Wilson, mais celui-ci n’étant pas parvenu à en convaincre ses compatriotes, c’est grâce à sa mise en œuvre sous la conduite énergique de Léon Bourgeois, qui en fut d’ailleurs le premier dirigeant, que l’organisation à pu finalement voir le jour à Paris.

Lors de l’invasion de la France par les Allemands, toute l’organisation, personnel matériels et archives, fut évacuée vers New-York, de sorte que la création des Nations Unies à Los Angeles, n’a finalement été que la continuation, sous un autre nom, d’une organisation qui existait déjà.
De la même façon, plusieurs institutions qui sont par la suite devenues des agences des nations unies, comme l’Unesco et le HCR, ont en fait été fondées à Paris dans l’entre-deux guerre, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le siège de l’Unesco est demeuré à Paris. Quand à la Cour Permanente de Justice Internationale ( CPJI ) fondée à Paris en 1922, elle fut reprise par les Nations-Unies sous l’appellation de Cour Internationale de Justice ( CIJ ) dont le siège est actuellement à La Haye. Citons encore comme produit de la dimension universelle de le France, l’OCDE, dont le siège est à Paris, et Interpol, dont le siège est à Lyon.

Enfin, dans le même esprit, ce pays fut à l’origine des plus grandes manifestations, et fédérations sportives, les Jeux Olympiques modernes bien sûr, mais également la Coupe du monde de Football de Jules Rimet, le Tour de France, Rolland Garros, les Vingt quatre heures du Mans, et plus récemment, le Dakar, et nombre de grandes courses transatlantiques, il fut fondateur de la FIFA, de la FIA, de la Fédération Internationale de Tennis, et bien d’autres encore.
Ajoutons à cela, le festival de Cannes, le salon aéronautique du Bourget qui n’a son semblable qu’en Angleterre, bien d’autres manifestations de portée internationale, et plus récemment la fête de la Musique de Jack Lang, devenu événement universel.

Tout cela, au point qu’on se dit que le monde serait bien dangereux et ennuyeux, s’il ne s’était trouvé tous ces fondateurs français.

Mais voila, les temps ont bien changé ! La France d’aujourd’hui n’est plus du tout la superpuissance culturelle qu’elle fut dans le passé, jusqu’aux années soixante, les Camus, Mauriac, Sartre, Vian, Malraux, et combien d’autres, n’ont plus leurs pareils, et la dimension universelle de la France, avec tout ce que cela implique logiquement d’ouverture aux autres, et sur le monde, comme source d’enrichissement, il est clair que pour la plupart d’entre eux, les Français d’aujourd’hui s’en foutent éperdument, et ne savent même plus ce que c’est. C’est tout au contraire avec un zèle obsédé, et totalement “castrateur” quant au fait culturel, qu’ils s’emploient au repli identitaire sur eux-mêmes.

La perte de sa dimension universelle, qui eut tôt fait de réduire en une forme ironique, les résonantes proclamations de “France terre d’asile” ou “pays des droits de l’homme”, et qui fait que sous la conduite d’un homme d’une totale grossièreté, par le verbe, et par les mœurs, que les Français se sont pourtant donné pour le premier d’entre eux, s’est constitué dans ce pays un véritable “racisme d’état”, tel qu’il se trouve dénoncé par de nombreux observateurs étrangers, va lui porter un coup terrible. Car, elle va rendre problématique et insupportable, “dans son principe même”, et bien avant la réalité des problèmes de terrain, en en faisant une “anomalie” fondamentale, la présence en ce pays de minorités issues de l’étranger, et qui, par la force des choses participent pourtant bien de lui, mais qu’il ne reconnait pas comme parties authentiques de lui. Dès lors, tout espoir de parvenir à “l’intégrité”, pour pouvoir se trouver en pleine capacité, afin d’affronter les défis de notre époque, s’est évanoui.

Il faut dire que cette difficulté sociologique, correspond également à la perte par la France d’une quatrième dimension, qui fut probablement la perte la plus dévastatrice quant à un nécessaire imaginaire de grande puissance, sans lequel une nation ne fait rien de grand, qui est la douloureuse perte de sa dimension impériale.

Par la vaillance de ses explorateurs, de ses missionnaires, de ses militaires, de ses colons, de ses administrateurs et autres commis de l’état, ce pays s’était taillé au fil des ans, un gigantesque empire colonial, et avait acquis par cela, le rare statut de puissance impériale.

Qu’on y songe un peu. A son apogée, celui-ci s’étendait sur 13 500 000 km², soit vingt cinq fois la France, trois fois la totalité de l’Union Européenne, et plus d’une fois et demie les Etats Unis d’Amérique !

En fait, tout au cours de l’Histoire qui nous est connue, il n’y a guère que les empires britannique et russe, pour avoir été plus étendus, le premier s’étant d’ailleurs bâti en grande partie, en Amérique du nord et en Inde, par la capture du premier empire colonial français.

Il était alors fort de plus de 110 millions d’hommes, de sorte que, même si ceux-ci n’avaient pas les mêmes droits, près des deux tiers des hommes ayant la citoyenneté française à l’époque, étaient des non européens, chiffre qu’il faut rapporter aux clameurs de frayeur que l’on entend aujourd’hui, concernant le surnombre prétendu des immigrés. Il est clair que les héros coloniaux sont maintenant fatigués. S’il s’était maintenu, il serait fort aujourd’hui de 400 à 500 millions d’hommes, et on imagine que la position de la France dans le monde serait bien différente. Mais il est certain qu’il n’aurait pu se maintenir qu’à la faveur d’une égalité des droits entre citoyens, puisque telle fut la revendication qui, pour ne pas avoir été satisfaite, justifiera la revendication d’indépendance, et que celle-ci aurait conduit fatalement un jour, à l’installation dans le fauteuil élyséen, d’un nègre ou d’un musulman, perspective inacceptable à l’époque, et qui le demeure encore en grande partie aujourd’hui, pour les Français.

Dans son “Mein kampf”, Adolf Hitler donne parmi d’autres, une raison impérieuse de détruire la France, pour disait-il, “ éviter que ne se constitue du Congo jusqu’au Rhin, un gigantesque empire négroïde”. Curieusement, ce sont les Français eux-mêmes qui, parce que visiblement ils partageaient la même frayeur, vont mettre fin au cauchemar d’Hitler.

La difficulté actuelle des Français, est celle à laquelle ont du faire face toutes les autres puissances coloniales, et dont la grandeur n’y a pas survécu. Elle réside dans le fait que :

“ Lorsque vous vous répandez chez les autres, c’est alors que fatalement ces autres vous possèdent un peu. Dès lors, il ne vous est plus possible de prétendre à votre plénitude, sans eux ”.

Tel est le piège qui s’est refermé sur les Français, leur difficulté à rentrer afin de leur “intégrité”, en possession de la totalité de leur “fait”, lequel par leur propre volonté, s’est étendu bien au-delà du confetti hexagonal auquel il n’est désormais plus réductible, sans le concours, économique, politique, et surtout culturel, de l’ancien empire.

Illustre parfaitement cela, le fait que le plus grand pays francophone du monde, tant par la taille que par la population, c’est justement le Congo, avec ses 72 millions d’habitants, et la plus grande ville francophone du monde, et de très loin, c’est Kinshasa avec ses 15 millions d’habitants !

Le français dans le monde, est déjà devenu pour l’essentiel, une langue d’Africains, ce qui va fatalement placer un jour les Français dans la situation actuelle des Portugais, qui se trouvent dans la nécessité de réformer leur langue telle qu’elle se parle au Portugal même, pour l’adapter aux évolutions qu’elle a subi au Brésil et en Angola, où se trouvent la majorité de ses locuteurs.

Jusque dans les années cinquante, le français le disputait encore un peu à l’anglais, comme langue véhiculaire. Mais il n’en est plus rien aujourd’hui et, à cette heure où on parle déjà l’anglais, jusque dans les couloirs des sociétés multinationales installées en France, et où les eurocrates parlent d’en faire, afin de simplification, la langue véhiculaire unique des institutions européennes, et compte tenu de la véritable “dépression intellectuelle” qui frappe actuellement ce pays de France, s’il doit demeurer dans le monde de demain, une florissante culture francophone, elle sera là encore, essentiellement africaine...

Lorsque ce monsieur de Villepin dans une posture gaullienne de la grande époque, s’en vient défier l’américain jusqu’en son sanctuaire du conseil de sécurité des Nations Unies, c’est parce qu’il sait très bien, qu’il ne manquera pas de trouver des appuis, le hasard du calendrier ayant fait que plusieurs nations de l’ex-empire, membres non permanents, se trouvaient présentes en le conseil à cette époque. Il savait bien que les liens affectifs et culturels, l’emporteraient, face à toute l’artillerie de propositions alléchantes que pourraient faire ces américains, pour obtenir un vote en leur faveur, et de fait, cet aristocrate blanc, tout ce qu’il y a de plus éloigné socialement des Africains, l’a cependant emporté face aux deux émissaires pourtant noirs, que les Etats Unis et la Grande Bretagne avaient dépêchés en Afrique, pour pouvoir le contrer. Ceci rejoignait le constat de ce monsieur Pasqua, disant que “sans l’Afrique, la France n’est plus rien”, façon de dire que la France ne peut plus espérer jouer sans l’Afrique, dans la cour des grands.

C’est bien cette quête désespérée d’intégrité, afin de renouer enfin avec l’efficacité, la puissance, et la grandeur, et de ne pas voir cette partie de soi, celle-là même qui établit le statut supérieur, grandir ailleurs, s’en trouver définitivement détaché, et souffrir de son manque, qui explique toutes ces grand-messes, cinquante ans après les indépendances, de la Francophonie, du sommet Franco-africain, et toutes les turpitudes politico-financières, auxquelles on donne désormais le nom de “Françafrique”.

Mais, ses habits impériaux sont aujourd’hui devenus bien trop grands pour la France, qui, par le régime de petitesse qui est le sien depuis des années, à bien maigri de son orgueil, de son ambition, et de ses rêves de grandeur, et comprendre le mal français actuel, c’est prendre conscience du fait que ce pays est passé en une vingtaine d’années seulement, c’est à dire de 1940 à 1960, du statut de grande puissance impériale victorieuse, ce qu’il était au sortir de la première guerre mondiale, à celui de petite province européenne parmi d’autre. Et ceci, après avoir subi la terrible défaite de 1940, dont il ne s’est consolé, qu’à la faveur de ses alliés venus à son secours, avec ceux de son empire, envers lesquels il se montrera d’ailleurs fort ingrat.

Alors que ce pays qui entretient un racisme indigne envers ses minorités, se trouve par le fait dans une totale “schizophrénie”, puisqu’il existe un grave hiatus entre sa représentation objective, c’est à dire celle d’un peuple composite, qui affiche sa surprenante diversité dans ses équipes sportives, ses artistes, et surtout dans la population bigarrée de sa capitale, et la représentation qu’il se fait de lui-même, c’est à dire celle d’une nation d’hommes blancs européens, justifiant à leur yeux ce racisme. Et ceci, alors que s’il faut donner un sens à ces sondages, en espérant qu’ils ne soient pas sournoisement trafiqués, ce qui demeure possible, il apparaitrait que les trois personnalités préférées des Français, sont deux nègres, et un maghrébin !

Il y a de toute évidence, une profonde pagaille qui règne actuellement dans la tête des Français, alors que le conflit entre leur dimension hexagonale et leur dimension européenne, ne risque que d’amoindrir les deux, que leur dimension universelle, ils s’en moquent totalement, et que le racisme qu’ils entretiennent envers leurs minorités, ne leur laissera pas longtemps le loisir de se voir encore comme un grand peuple, grâce à leurs liens particuliers avec l’Afrique. Ceci, d’autant qu’ils sont sous la menace d’une réforme de la composition du conseil de sécurité, qui verra la transformation de leur siège de membre permanent, en celui d’un représentant européen, pour satisfaire entre autres, les Allemands, fatigués de voir comme ils le disent :

“ Les Français voyager en première classe, avec un ticket de seconde ”.

Privée de ses quatre dimensions traditionnelles, qui la déterminaient parfaitement, la question est donc la suivante :

“ Qu’est-ce que c’est la France d’aujourd’hui, étant bien entendu que la seule formule, “nation d’hommes blanc européens”, qu’on se propose de protéger comme telle, ne suffit absolument pas à ce qu’elle soit déterminée, et aussi, que veut elle être, et surtout, que peut elle être ?


Paris, le 17 avril 2012
Richard Pulvar

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