vendredi 21 juin 2013

POURQUOI LE REVE ET L’AMBITION NE SONT PLUS ?



Il faut déjà avoir l’honnêteté intellectuelle d’en faire le constat, même si certains s’en agacent et répugnent à s’entendre dire aussi sèchement que cela, “c’était mieux avant”. Ceci, en ne voulant rien en savoir, pour ceux qui ne l’ont pas vécu,  et ne voulant rien s’en souvenir, pour ceux qui depuis ont du se faire une raison, parce que bien sûr, cette remarque ne leur sert strictement à rien dans leur volonté et leur espoir de voir les choses s’établir correctement. Car, il en va tout simplement quant à ce constat, de l’inévitable cohérence qui existe entre les différents aspects que peut revêtir une société à un moment donné, selon une logique des choses à laquelle on ne peut pas faire injure de la nier.

Il est clair en effet, qu’une société comme celle qu’est devenue la nôtre aujourd’hui, c’est-à-dire de plus en plus vieillissante, dévastée depuis des décennies déjà par le chômage, désillusionnée quant à la notion de progrès au point de ne plus en faire son exigence sacrée, et à la tête de laquelle des gouvernements “fauchés”, de carriéristes poussiéreux et sans idée, n’ont comme unique projet que de trouver de quoi boucler les fins de mois, ne saurait avoir le dynamisme, l’optimisme, l’enthousiasme, l’audace, l’entreprise et les moyens de celle-ci, tel que c’était le cas auparavant.

Ceux qui ont connu cette période, à la fois d’explosion économique et de rénovation sociologique, dite des “trente glorieuses”, se souviennent que dans le bouillonnement de ces temps de plein emploi, et donc de travail éreintant pour le prix d’une époque enthousiasmante, il ne se passait pas un mois qu’une découverte scientifique prometteuse, qu’un coup d’audace technologique, qu’un record battu, ou même qu’un bouleversement dans les moeurs si rigides de l’époque, dans les prémisses de 1968 et après, ne vienne conforter notre sentiment d’être engagés dans la voie fascinante et grisante du progrès.

Nous formulions alors par anticipation, le rêve qu’à l’horizon de l’an deux mille, des hordes de robots dociles auraient libéré notre humanité de la pénurie et du labeur, et qu’à l’aide de fulgurants engins volants, nous pourrions nous rendre selon notre plaisir de l’instant, et aussi facilement que cela, d’un endroit de notre planète à un autre. Peut-être y serions-nous parvenus sur notre lancée, mais nous savons que tout s’est soudainement arrêté vers la fin des années 1970, par un phénomène qui, sous l’appellation de “crise”, telle que nous croyions alors celle-ci passagère, nous a fait inaugurer une ère nouvelle dans laquelle l’immobilisme allait trouver sa raison.

De fait, à part ces avancées importantes il est vrai, de l’informatique et de l’internet, il demeure que tous les autres aspects techniques de notre société sont établis sur des acquis technologiques d’il y a maintenant plus de cinquante ans, et qu’après qu’ils aient grandement évolué jusque là, il n’y a plus eu aucun progrès depuis, dans tous ces domaines...

L’exemple le plus emblématique de cette situation, et qui constitue un verdict sans appel quant au déni de progrès que constitue désormais notre époque, c’est que maintenant que les navettes américaines ont été mise à la retraite, il n’existe plus qu’un seul moyen de se rendre dans l’espace, c’est d’utiliser encore et toujours la fameuse “Semiorka”, le lanceur russe des Soyouz, la R7 de l’ingénieur Korolev que celui-ci mit au point pour lancer le premier satellite artificiel de la Terre, le Spoutnick 1, en 1957 !

C’est donc avec une technologie vieille de plus de cinquante sept ans, que nous nous employons aux activités les plus modernes d’aujourd’hui, et ceci, après que cette technologie ait eu des développements plus avancés jusqu’en 1974, lesquels ont été abandonnés depuis faute de moyens et d’ambition, inscrivant ainsi notre époque dans le courant bien peu flatteur de la régression. Car, en attendant les Chinois qui ont logiquement cette ambition, compte tenu de leur actuelle montée en puissance, plus aucune nation au monde n’est désormais en mesure, et ne le sera avant longtemps, d’envoyer un homme sur la Lune.

C’est d’ailleurs ce triste constat qui a donné l’occasion du foisonnement sur le net, de tout un tas de pseudo-documents, dans lesquels on fait dire à des officiels américains par la traduction française, ce qu’ils ne disent absolument pas en anglais, pour promouvoir l’idée selon laquelle les Américains ne sont en fait jamais allés sur la Lune, et que tout cela n’est que du bobard. Certains de ces informateurs se revendiquent même de la science, en prétendant infranchissables les ceintures radiatives qui entourent notre Terre, mais bien sûr en se passant totalement de nous donner quelque indication que ce soit sur les paramètres physiques et énergétiques de ces radiations, qui les rendraient ainsi infranchissables.

En fait, tout ce déni stupide et grotesque, quant on sait ce qu’a été cette formidable aventure, laquelle s’est développée à la faveur il faut bien le remarquer, de la guerre froide, traduit finalement une angoisse de se voir participer selon cette objectivité, à une société en décadence, et de devoir se constater par là comme étant corrélativement un individu décadent, ce qui n’est bien sûr pas très flatteur pour son ego.

Désormais dans notre société d’aujourd’hui, où la notion de progrès ne réside plus que dans la mise sur le marché de tout un tas de gadgets “amuse-cons” du multimédia, et étant entendu que rien ne permet de classer des dispositions productivistes telles que les OGM, compte tenu de la contestation que fait l’objet leur bien fondé, dans le domaine du progrès, contester le fait de ce qui a été et qui n’est plus, constitue une façon de se protéger d’un terrible constat.

Cependant, pour désagréable que soit son constat, il faut déjà prendre conscience, pour pouvoir ensuite la combattre, qu’en réalité, cette régression de notre actuelle civilisation n’a rien d’illogique et ne tient qu’au fait qu’une de ses nécessités “idéales”,  n’a pas été satisfaite.

Si donc le rêve et l’ambition ne sont plus, c’est tout simplement parce que notre actuelle civilisation occidentale, fatalement usée et aujourd’hui exténuée, par le fait même du grand usage qui fut fait d’elle avec profit, depuis cinq siècles, et qui dans cet état n’y porte plus attention, a totalement ruiné la valeur “qualitative” du temps. Et, si elle nous offre en maigre compensation, une augmentation de la valeur “quantitative” de ce temps, sous la forme d’une augmentation de notre espérance de vie, la “charge événementielle” de ce temps de nos existences passées en elle, est devenue aujourd’hui si désespérément faible, qu’elle confine à faire de celui-ci un temps qui n’est plus réellement le nôtre, puisqu’en fait il ne se passe presque plus rien, pour, et par nous.

En effet, il ne s’agit plus en ce temps que malgré tout nous vivons, dans cette société stérilisée, désenchantée, et devenue “castratrice” pour ceux qui manifestaient encore quelque désir d’inhabituel et d’extraordinaire, que tout bêtement de celui de l’horloge, tel que par elle, “il se passe” selon son mouvement, lequel ne fait alors référence à rien d’autre.

Or, en comprenant que le temps se réalise du rapport de la circonstance à la constance, autrement dit du rapport de ce qui change à ce qui demeure, qui ne peuvent être spécifiés que l’un par rapport à l’autre, et qui sont les seules façons pour nous de comprendre ce temps, il apparait que s’il n’était les cycles naturels obligés, tels que la succession des jours qui règle nos activités quotidiennes, répétitives et sans surprise, nous aurions aujourd’hui bien du mal à meubler par quelques événements inattendus, la “circonstance” de notre temps, pour en établir une bonne qualité, et nous sentir par cela vivre  pleinement.

Il s’agit en fait par cette perte de sa qualité par non événement, d’une perte de temps. Mais, celle-ci se trouve masquée par ce gain de temps apparent que constitue l’augmentation de l’espérance de vie, pour nombre de nos concitoyens qui manquent de prendre conscience que ce qui importe par dessus tout pour bien profiter du temps et de l’existence, c’est d’avoir beaucoup “vécu”, et non pas d’avoir tout simplement longtemps “duré”.

La richesse du temps, c’est la richesse de sa densité événementielle, et augmenter la durée chronologique d’une existence, en diminuant selon la monotonie des modes de vie “sécurisés” d’aujourd’hui, dans lesquels on ne craint plus rien, et donc dans lesquels il ne vous arrive plus rien, n’est pas vivre davantage, mais tout au contraire, vivre moins, et moins bien.

Il est remarquable à ce sujet que le terme “heureux”, ne préjuge pas d’une quelconque qualité des “heurs”, comme c’est le cas dans le terme “bienheureux”, et qu’être heureux, c’est avoir la chance de vivre intensément, par le grand flux de tout ce qui se passe, pour et par soi, et qui le plus fréquemment implique solidairement “bonheurs” et “malheurs”, puisque les uns ne peuvent être appréciés que par rapport aux autres.

Ceci signifie clairement qu’être heureux, ce n’est pas se mettre définitivement à l’abri de tous les malheurs, de toutes les difficultés, et de toutes les épreuves, parce qu’il nous faut justement “éprouver”, pour nous sentir vivre, et toute l’impasse dans laquelle se trouve donc actuellement notre société, c’est d’avoir prétendu soustraire totalement les humains à celles-ci, ce qui cependant, pour les plus dramatiques d’entre elles telles que la guerre, les famines, et les épidémies, était parfaitement fondé.

Mais il fallait songer une fois ceci fait, à ménager pour ces hommes, de saines, parce qu’il en est, mais difficiles autres épreuves, pour qu’ils aient à y faire face. Il fallait les engager dans la construction de quelques pyramides ou grand temples pharaoniques de notre époque, pour qu’ils puissent éprouver, et avoir la joie et la fierté de triompher.

Ainsi, lorsqu’en l’année 1963, le charismatique président des Etats-Unis d’Amérique, John Kennedy, s’adresse à ses compatriotes pour leur faire part de sa décision de lancer le programme qui devait permettre d’envoyer un Américain sur la Lune, il ne leur donne comme unique justification de cette entreprise que :

“ Nous le ferons, parce que cela va être difficile ! ”

Imagine-t-on seulement un instant un de nos dirigeants actuels, s’adresser aux citoyens  pour leurs dire que la nation va dépenser des quantités de milliards dans une entreprise, pour la seule et unique raison que celle-ci sera difficile, et qu’il convient pour elle, pour son affirmation et sa propre célébration, d’accomplir cet exploit ?

Il est clair qu’il n’aurait même pas le temps de finir son discours...!

Mais jusqu’à cette époque, il était encore connu que l’homme ne vit pas que de pain, de sorte que si “l’utile” est bien sûr nécessaire à son “l’être”, il est un autre domaine que nous conviendrons d’appeler le “futile”, pour ne surtout  pas le confondre avec “l’inutile”, qui est quant à lui nécessaire à son “bien-être”, autrement dit à la plénitude de son être.

Ainsi, le déni de progrès sous des arguments de raison, correspondant à la renonciation de son exigence salvatrice par les citoyens eux-mêmes, intimidés qu’ils furent par le baratin de technocrates au service des puissances d’argent, tout comme le renoncement au rêve, à la poursuite de l’exploit pour lui-même, aux difficiles épreuves qu’on accepte après s’être fixé des objectifs ambitieux, autrement dit le renoncement à la quête permanente d’un “mieux”, par un aveu d’incapacité qu’on prétend alors faire passer pour être de la raison, constituent la raison profonde de notre actuelle défaite face à l’histoire.

Il est temps que revienne le goût de la fierté, de l’ambition, de la grandeur, de la découverte, de la novation, de l’exploit, de la prouesse intellectuelle ou technologique, uniquement pour ce qu’elle est, sans avoir à la justifier par quelque argument productiviste ou comptable, car il apparait clairement que quelque soit le prix devant être consacré pour la “gratuité” de ces actes, ce ne sont pas ces dépenses par lesquelles la nation s’affirme dans sa capacité, qui coûtent cher, mais bel et bien le doute inhibiteur, qui ruine sa détermination et sa capacité à entreprendre, ainsi que nous le constatons en ce moment...

Il est temps de reprendre la route des exigences sociales et culturelles, qui est celle du progrès, en nous voyant et nous proclamant à nouveau, parfaitement capables de celui-ci...


                                                           Paris, le 20 juin 2013
                                                               Richard Pulvar