lundi 11 octobre 2010

L'HEURE VENUE D'UN PEUPLE ATTENDU

Le ciel c’est certain, aime à s’amuser des hommes et il ne doit pas manquer de sourire, en constatant que face à ces peuples superbes et puissants, tels qu’ils sont convaincus de leur nécessité historique pour l’humanité tout entière, et tels qu’ils se prétendent à ce leadership, celui dont il a décidé, bien sûr, sans jamais l’en avoir averti, de faire son instrument, continue de se complaire dans la plus totale insignifiance, en jetant sur lui-même le regard attristé de ceux qui se sentent déshérités par le destin.

Je me souviens de cette réunion de serviteurs de “la cause”, où plein de ma conviction, je lançais sans crainte à l’assistance : “ les Antillais sont les plus chanceux des hommes ”, et ce militant surgissant du fond de la salle jusqu’à la tribune, pour copieusement m’invectiver, me reprochant de faire cas bien facilement, du tourment dans lequel demeuraient cependant, la plupart de nos compatriotes.

En fait, le mot fut mal reçu, parce que l’idée qu’on se fait de soi, fait bien partie de soi, de sorte qu’on ne peut y renoncer, sans se sentir intimement atteint. Or, par le fait des années, la victimologie s’est inscrite dans la chair même des Antillais, de sorte qu’ils ne s’envisagent, que comme étant des victimes nominales, c’est à dire définitives et sans aucune contrepartie, des pires cruautés de l’histoire, et sans jamais se demander “pour quoi”, c’est à dire non pas, “à cause de quoi”, comme nous l’entendons habituellement, mais bien “afin de quoi”.

Il se trouve concentrées, tant de cruautés, tant d’abominations, et tant d’offenses à la conscience humaine, dans ce qui constitue globalement l’histoire des peuples antillais, que s’est ancrée chez beaucoup de ces hommes, la conviction qu’il n’a été question en cette suite sans fin d’accablements, que d’une simple et pure manifestation du mal. Ces blessures et leurs séquelles ont été telles, qu’à ce jour, les Antillais conservent vis à vis de ces faits historiques, une attitude intensément passionnelle. C’est pourquoi ils se montrent volontiers suspicieux, quant ce n’est par carrément hostiles, contre toutes les tentatives d’explication de leur drame qui, envisageant quelque autre argument, se situeraient au-delà de ce qu’ils sont déterminés à considérer comme la seule cause devant être évoquée, à savoir la férocité de certains hommes, contre les descendants desquels s’exprime alors leur vindicte.

Malheureusement, dans cet état d’esprit, ils ne sont en rien préoccupés d’établir par rapport à un ordre rigoureux des choses, tel que celui-ci s’impose à tous les autres humains, une justification formelle de leur fait, parce que celle-ci semblerait constituer en quelque sorte une “excuse”, pour ce forfait. Si donc ils se passent depuis toujours d’en établir la logique historique, c’est qu’à leurs yeux, il ne peut, et il ne doit rien y avoir de justifiable, dans ce crime qui a pourtant provoqué leur émergence, et qu’ils ressentent alors confusément comme étant la conséquence d’une injure faite à la suite logique du devenir des peuples.

Beaucoup d’Antillais, et avec eux beaucoup d’Africains, pensent en effet que s’il ne s’était produit l’intervention européenne, les nations africaines auraient tout simplement poursuivi un cours, alors supposé normal de leur histoire. Dans ces conditions, le risque est grand de les offenser une fois de plus en affirmant ici que, compte tenu de la situation qui était alors la leur à cette époque, et en regard des autres communautés d’humains s’étant déjà rencontrées, c’est justement cette intervention étrangère qui, dans l’histoire des peuples africains, s’inscrit paradoxalement dans un cours normal ce celle-ci. Et ce, même si l’occasion de cette poursuite de leur histoire fut un terrible affrontement.

Car, face à la volonté naturelle des peuples à se maintenir tels qu’ils se sont réalisés, et pour cela à se prémunir contre les autres, et bien avant que se soient établies entre eux des procédures de coopération, ce fut principalement leur confrontation qui, des siècles durant, à provoqué les occasions de leur altération mutuelle. Or, nous devons comprendre maintenant, que cette altération réciproque des uns par les autres des peuples de notre humanité, constitue l’élément essentiel de la procédure selon laquelle s’opère son évolution.

La justification de cette proposition inhabituelle, établissant la normalité d’une altération mutuelle des peuples, et par-là, de leur confrontation, réside tout d’abord dans le fait que la notion de cours normal de l’histoire d’un peuple évoquée ici, ne correspond pas à un cours sans accident de celle-ci, qui ne serait qu’un enchaînement tranquille d’événements habituels. Car, selon une approche que nous dirons “cosmologique” des choses, en référence à un ordre universel de celles-ci, et selon laquelle nous allons désormais poursuivre notre débat, cette définition fait tout au contraire intervenir une notion de normalité dans les “ruptures” qui, dans cette histoire, sont nécessaires à un devenir de ce peuple, autrement dit nécessaires à ce qu’il en devienne fatalement et graduellement un autre. Et ceci, pour satisfaire à cette exigence du temps selon laquelle, ne peut “demeurer”, que ce qui paradoxalement “devient”. Ainsi, cette idée selon laquelle une histoire africaine aurait pu normalement se développer indéfiniment, sans qu’à aucun moment elle ne se trouve profondément influencée et “altérée”, par l’entreprise d’hommes provenant d’autres continents, relève-t-elle d’un sentiment a priori, qu’infirme la nécessité même de leur pérennité, et que ne vérifie aucune expérience humaine.

C’est parce qu’ils n’entendent plus la parole de Senghor qui disait fort justement que, “toutes les grandes civilisations, sont des civilisations de grand métissage”, et parce qu’ils manquent de voir que ce phénomène d’altération s’est produit partout ailleurs sur la planète, que les Africains continuent de vivre ce qui leur est arrivé, comme une anomalie historique, aux conséquences irréparables. Mais en réalité, la spécificité africaine dans cette affaire, réside dans l’ampleur et la brutalité de cette altération, affectant un continent demeuré trop longtemps hors des principaux soubresauts de l’histoire, et qui a du subir là en quelque sorte, un violent rattrapage.

Les Européens ont dévasté les sociétés africaines traditionnelles. Les Africains en sont depuis inconsolables, et leur en tiennent une rancune tenace. Cependant, par delà la dimension affective inévitable des humains que nous sommes, dont il nous incombe bien sûr comme tels, d’en respecter les exigences, et qui selon celles-ci, confère précisément à toute cette histoire, son caractère “inhumain”, sur le plan de la seule et stricte logique des choses, ils ont tort !

Pour bien saisir le sens de cette délicate affaire, toute notre difficulté sera maintenant de nous familiariser avec quelques données de “cosmologie”, notions qui malheureusement, pour le novice, ne sont pas d’un abord très facile, parce qu’elles correspondent à une façon tout à fait inhabituelle d’envisager les choses. Mais, face à l’insuffisance des approches plus traditionnelles, qui ne permettent pas d’accéder à bien des aspects non évidents, autrement dit, “ésotériques”, des choses, cette approche “cosmologique” est précisément celle qui permet de s’enquérir, de “l’au-delà” des évidences. Attardons-nous donc un instant, pour les envisager.

Considérons tout d’abord que ce que nous appelons ici le “cosmos”, c’est un ordre logique et imposé, et qui demeure généralement insoupçonné, de la “succession” des choses. Ceci, de telle sorte que chacune de celle-ci, se trouve justifiée par une “antériorité” dont elle procède, et qui l’implique, autrement dit une “cause” telle que celle-ci peut nous être évidente, mais également, et cela est plus inattendu, par une “postérité” qui procède d’elle et qui cette fois l’explique. Car, si à l’instant d’une chose, sa postérité “n’est” évidemment pas encore, il reste qu’elle “se peut” malgré tout dès cet instant. Or, l’établissement à l’instant d’une chose, d’une “potentialité” de sa postérité, ne peut manquer d’être en corrélation avec “sa présence”.

Comprenons ici que dire que la potentialité d’une postérité se trouve établie, c’est dire que cet établissement est une réalité, laquelle relève comme telle, de la disposition des choses, telles qu’elles “sont”. Ceci revient à dire simplement, que la disposition des choses actuelles, constitue très logiquement, la potentialité des choses à venir. Il vient de cela que, même si à l’instant d’une chose quelconque, sa postérité n’étant pas encore, elle ne possède évidemment pas d’évidence directe, cette postérité peut malgré tout être envisagée, selon sa potentialité, qui elle, possède bien une évidence dans la disposition des choses actuelles, puisque c’est précisément selon celle-ci, que cette potentialité se trouve établie.

Telle qu’elle possède forcément une évidence, dans la disposition des choses actuelles, la potentialité d’une chose à venir, constitue ainsi l’aspect “ésotérique”, de cette chose à venir.

Ainsi, dans l’acception noble de cette appellation, “l’ésotérisme” est cette science qui permet d’accéder aux aspects “non évidents”, autrement dit “cachés”, des choses, lesquels comme tels, correspondent à des aspects potentiels de leur postérité, donc de leur “avenir”. C’est ce qui explique le rapport de l’ésotérisme avec toutes les sciences de la “prévision”. Mais, comprenons bien ici une bonne fois, que les anciens qui utilisaient plutôt que d’autres, cette forme d’investigation, n’étaient pas du tout à ce point préoccupés de prédire l’avenir, comme nous inclinons si facilement à le croire aujourd’hui, du fond de notre ignorance.

Nous ne comprendrons rien, à ce qui jusqu’à aujourd’hui, nous semble ne relever que d’une obsession astrologique d’esprits primaires, c’est à dire aux constructions monumentales que les anciens ont consacré à cet exercice, si nous manquons de prendre conscience une bonne fois, que leur véritable objet, était tout simplement d’accéder à la connaissance des aspects non évidents des choses telles qu’elles sont, ce qui constitue bien l’objet fondamental, de la plupart de nos sciences actuelles.

Tout leur génie fut d’avoir compris, que les aspects non évidents des choses actuelles, ceux-là mêmes auxquels nous tentons aussi d’accéder, par d’autres formes d’investigation, correspondaient à des formes de leur avenir, et qu’en étudiant celui-ci, il était possible de découvrir, non seulement la structure sous-jacente non évidente des choses, mais également, la fonctionnalité de cette structure, puisqu’elle correspond à une potentialité établie. Ainsi, ces observatoires étaient-ils en fait tout simplement, les équivalents de nos centres de recherches.

Cette façon d’investigation scientifique présentait l’énorme avantage, de ne nécessiter d’aucun de tous nos moyens modernes, extrêmement coûteux et sophistiqués, et c’est ce qui explique que les anciens qui ne les possédaient pas, n’en sont pas moins parvenus à un compte-rendu scientifique, sous des formes métaphoriques que nous appelons aujourd’hui, légende, mythologie, ou tradition, puisque cette investigation procède de “l’analogie”, et non pas comme la nôtre, de “l’analyse”. Or, pour qui sait bien en comprendre les formulations, sous tous les aspects romantiques de sa rédaction, ce compte-rendu se révèle être en réalité, d’une extraordinaire et subjuguante modernité, et d’une grande précision scientifique.

L’autre avantage de cette manière de faire, c’est qu’elle ne nécessite pas d’intervention directe sur l’objet étudié, susceptible de le modifier par le fait de l’investigation elle-même, mettant ainsi sa réalité “non altérée” par l’analyse, définitivement hors d’atteinte. Car notons que nos méthodes d’investigation, ne nous permettent pas de mettre en évidence les choses telles que simplement elles “sont”, mais telles qu’elles sont “étudiées”, ce qui n’est pas pareil.

Ainsi, face à ces anciens, soyons humbles !

Tout ceci confirme que la postérité, donc l’avenir, dont la potentialité est actuelle, participe bien à la définition du présent, puisque si cette postérité étaient différente, les formes actuelles de sa potentialité, telles qu’elles participent bien sûr du présent, le seraient.

Retenons alors pour la suite du débat, qu’étant capables sur lui, par la modification des dispositions actuelles dont il procède, nous sommes entièrement “responsables”, de l’avenir.

Cette idée selon laquelle, un avenir qui l’explique, participe aussi certainement à la définition du présent qu’un passé qui l’implique, est des plus étrangère à la pensée occidentale qui s’est imposée comme mode de la compréhension des choses, à peu près à toute la planète. Et c’est bien pourquoi nous ne comprenons plus rien aux dysfonctionnements manifestes de nos sociétés d’aujourd’hui, puisque nous n’imaginons pas vers quoi leur déliquescence doit logiquement nous conduire, c’est à dire vers “l’universalité”. Or, il est certain que si nous prenions en compte cette destinée, nous nous emploierions à défaire au plus vite, et dans une action concertée évitant les conflits, toutes ces vielles structures qui le seront fatalement, afin d’établir promptement les nouvelles, à notre plus grand bénéfice. Mais loin de tout cela, une action gouvernementale crispée, s’acharne à vouloir faire fonctionner, ce qui selon le cosmos, n’a plus lieu de fonctionner.

Pour les Européens, dont beaucoup de peuples ont hérité de l’explication des choses, celles-ci n’ont pas de “vocation”, elles ne sont justifiées que par leur “provocation”. Ainsi, l’univers résulte-t-il simplement pour eux, d’un certain nombre de faits “aléatoires”, de sorte que les choses ne peuvent avoir de justification que par une “cause” située à leur “antériorité”, et il ne leur viendra pas une seule seconde à l’idée, qu’elles sont également justifiées, par un “effet”, évidemment situé quant à lui, à leur postérité.

Comprenons cependant, qu’en aucune façon il ne saurait se produire la “pro-vocation” d’un fait, laquelle se situe évidemment à son antériorité, s’il ne se trouvait déjà établie une “vocation” à ce fait, qui se situe évidemment à sa postérité, et que la première n’est en fait que l’événement qui situe dans le temps, l’instant de la réalisation de la seconde. Autrement dit, tels que le signifient directement ces termes eux-mêmes, selon “pro” qui indique ce qui est “pour”, une provocation ne peut être telle, que pour la réalisation d’une vocation déjà établie.

En réalité, ceci correspond simplement au fait que pour la même raison que la dactylo, laquelle utilise ce terme pour expliquer la “limitation” de part et d’autre d’un texte, il ne peut y avoir de “justification”, que d’une réalité “déterminée”, c’est à dire établie nécessairement entre ces deux limites temporelles que constituent, son début et sa fin, et qu’en aucune façon, une réalité ne peut être pleinement justifiée, par ce seul début que constitue sa provocation.

Contrairement donc à ce que continuent de penser les Européens, toutes les choses de notre univers possèdent une vocation, et celui-ci n’est pas du tout le vaste champ de l’aléa, comme ils l’imaginent encore, il ne peut manquer d’être régi en toute rigueur, par le cosmos.

C’est justement cette idée, totalement étrangère à la pensée européenne, selon laquelle, une attraction de faits “à venir”, participe forcément à la “réalité du présent”, conjointement avec son induction par des faits du “passé”, autrement dit, que l’avenir justifie le présent, tout autant que le passé le justifie, que se situe la différence fondamentale entre une approche cosmologique des choses, et le rationalisme habituel pour lequel “le temps”, ne compte pas.

Ainsi, toute chose est forcément “provoquée” par certaines, et “provocante” d’autres, et c’est ce qui explique l’ambivalence du terme latin “causa”, dont le français à tiré à la fois, les mots “cause” et “chose”, mais qui quant à lui désigne indistinctement, la “cause”, et la “chose”.

Ceci correspond au fait que toute chose procède forcément d’une pluralité d’autres, lesquelles la précédent, afin de son “apparition”, et qu’elle participe forcément tôt ou tard à une pluralité d’autres, lesquelles lui succèdent, par sa “disparition”.

Nous devons comprendre ici par ce terme “apparition”, la constitution d’une chose, par “l’appariement occasionnel” d’une dualité d’éléments qui, bien sûr, sont individuellement insuffisants au fait de cette chose. Ceci signifie que tant que ces éléments demeurent séparés, il ne paraît rien de cette chose, et que ce n’est que dès lors qu’ils se trouvent “assemblés”, qu’il se produit par cela même à cet instant, “apparition”, d’une chose “constituée”. Tout cela, de sorte qu’une chose quelconque ne peut “paraître”, en traduisant ainsi le fait quelle “est”, que par un fait de “constitution”. Le fait d’apparition est donc logique de la constitution d’une chose, qui autrement n’apparaîtrait pas, et donc ne serait pas, ce qui suppose pour toute chose, dans la réalité de son fait, une “paire” minimale d’éléments constitutifs.

Comprenons bien ici que tout cela signifie clairement, qu’il ne peut “exister”, et par-là, apparaître et paraître, que ce qui se trouve “constitué”. L’élément absolu strictement singulier, tel que le serait une particule ultime de la matière, n’aura donc jamais d’existence pour nous, puisqu’il ne nous paraîtra jamais.

Ainsi, les physiciens qui traquent depuis toujours, ce qu’ils conçoivent encore comme étant la particule ultime de la matière, autrement dit, l’élément “absolu”, donc “insécable”, et tel est d’ailleurs la signification d’origine de “a-tomos”, mènent-ils par cela une course vaine, c’est à dire une course contre eux-mêmes. Car, leur “investigation” consiste précisément à “réaliser” des parties de leur objet, sans lesquelles celui-ci ne pourrait “apparaître”, en tentant d’en établir justement les “particularités”.

Comprenons ici que la “particularité” d’un objet, est une qualité de celui-ci, qui découle de sa constitution de “parties”, et c’est selon cette particularité que se trouve établie sa capacité à interagir avec d’autres, afin de pouvoir se constituer à son tour, comme étant la “partie” d’un ensemble supérieur. La particularité situe donc une chose comme étant à la fois, un ensemble de parties, et la partie d’un ensemble supérieur. Ceci, de telle sorte que, combien même en existerait-il, aucun “extrême”, tel que le serait une particule ultime de la matière ou, notre univers dans sa totalité unitaire, ne peut être particularisé.

C’est donc bien perdre son temps, que de courir après la particule ultime de la matière, puisque comme telle, celle-ci ne paraîtra jamais, et qu’on ne pourra évidemment en décrire aucune particularité. Les physiciens continuent de construire des appareillages gigantesques à cette fin, mais ce n’est pas idiot, puisque cela fait du travail pour les gens…

Puisqu’il ne peut se produire apparition, que par constitution de parties, comprenons que symétriquement, il ne peut logiquement se produire “disparition”, que par “restitution” de ces parties, lesquelles deviennent alors disponibles pour que s’effectuent d’autres apparitions, selon d’autres constitutions.

Retenons donc de tout cela, qu’il ne peut y avoir existence, que de ce qui se trouve “déterminé” entre une apparition et une disparition, en constituant selon cette détermination temporelle, une “réalité”, de sorte que tout ce qui apparaît, fatalement disparaît tôt ou tard. A cette détermination “temporelle”, correspond bien sûr une corrélation “spatiale”, à savoir que, toute réalité se trouve pareillement déterminée, donc limitée, dans l’espace, entre un début et une fin.

Comprenons maintenant, que les choses “se peuvent” toutes, et tout le temps, puisqu’il n’existe de “limites” que pour les réalités “déterminées”, autrement dit que pour ce qui “est”, et pas pour ce qui seulement “se peut” nécessairement, avant d’être. Ceci, étant entendu que, pour qu’une chose “soit”, il faut déjà que préalablement elle “puisse” être, et cette potentialité n’est pas du vent, elle doit être établie selon une disposition précédant le fait de cette chose. Cependant, puisque selon les occasions de leurs apparitions, elles se réalisent réciproquement les unes des autres, les choses ne peuvent évidemment pas “être toutes en même temps”.

En différenciant bien ici, un domaine de ce qui est déjà, autrement dit “l’être”, d’un domaine de ce qui seulement “se peut”, autrement dit, le “peut-être”, situé à son antériorité, nous comprenons que ce que nous appelons “le temps”, est un phénomène logique du fait que tout ne peut justement pas être “en même temps”, et qui implique la disparition de certaines choses, afin de l’apparition d’autres. Ceci, suivant la logique d’un “cosmos” qui, selon les caractéristiques des unes et des autres, prévoit l’antériorité de chacune, pour qu’elle puisse en procéder, et la postérité de chacune, pouvant procéder d’elle.

Le “cosmos” est finalement selon ce mot grec qui signifie “ordre”, précisément l’ordre de la succession logique des choses, telles que celles-ci procèdent réciproquement les unes des autres. Il s’agit autrement dit, de l’ordre implacable selon lequel se trouve fixé l’instant de chacune, par rapport aux autres. C’est donc selon le cosmos que s’effectue le passage d’une chose à une autre, où si l’on préfère, le fait “qu’il se passe”, de l’une à l’autre, autrement dit, c’est selon lui que se développe “le temps”.

C’est ce rapport du cosmos au temps, qui faisait les Grecs utiliser le même mot, pour désigner “l’ordre des objets célestes” selon lequel ils constataient le développement du temps, et c’est selon cette acception restrictive, que l’utilisent également les astrophysiciens. Mais, comprenons bien que ce cosmos des astrophysiciens, n’est en fait qu’un aspect parmi d’autres, même s’il est le plus spectaculaire, du “Cosmos”, l’ordre global des choses de notre univers, c’est à dire cette disposition de celles-ci, permettant qu’il puisse y avoir “suite”, dans l’espace, ou dans le temps. Partant de là, et en retenant bien la parole du sage Egyptien selon lequel :

“Hasard n’est quel le nom donné à la loi méconnue”,

nous devons comprendre qu’aussi dramatiques, pour tous ceux qui en ont été les victimes, qu’ont pu être les pires tragédies de l’histoire, elles n’ont pu manquer d’être toutes logiques, et par cela prévisibles, et donc évitables si, par une préoccupation de responsables à ce sujet, elles avaient été prévues, eu égard aux règles implacables du cosmos, celles selon lesquelles se développe le temps. Dès lors, en reprenant là encore, la parole du sage Egyptien qui dit :

“ Il existe de nombreux plans de causalité, mais rien n’échappe à la Loi ”,

nous devons comprendre que si, par une prévision de ce qu’implique logiquement la situation dans laquelle ils se trouvent, les peuples peuvent prendre des dispositions pour éviter que ne se réalise une prévision funeste, et pour qu’il advienne alors autre chose, ceci selon la pluralité des plans de causalité, leur inconséquence à ce sujet risque quant à elle, de les abandonner dans la perspective des pires cruautés. Ceci, selon la rigueur de la Loi que nul n’est censé ignorer, c’est à dire les implications implacables du temps, à partir de situations données, et, éventuellement, les nécessités à satisfaire pour les éviter, et faire en sorte “qu’il se passe”, pour le mieux.

Tout ceci pour dire que sous le regard critique du ciel, lequel ne peut être magnanime, que pour autant qu’on sollicite sa clémence, en s’avouant par cela même grandement fautif, aucun peuple n’est fondé à se plaindre du grand malheur s’étant soudainement abattu sur lui, parce que dans son inconséquence et sa totale irresponsabilité, il s’est durablement accepté, dans une situation qui irrémédiablement le “vouait” à ce malheur, c’est à dire une situation selon laquelle se trouvait établie selon sa “disposition”, une “vocation”, à ce malheur.

Ne perdons pas de vue ici, que toute chose est bien sûr, provoquée de son antériorité, mais également provocante de sa postérité. Ceci signifie alors que la disposition d’un peuple, à un moment donné de son histoire, constitue la vocation des événements qui l’ont provoquée, mais également la disposition des événements qu’elle va à son tour provoquer, c’est à dire, ceux de la sa continuité historique.

Tout ceci revient à dire très clairement que quel qu’il soit, un peuple ne peut manquer d’être entièrement responsable de ce qui lui arrive, puisque c’est de la disposition qui est la sienne à un moment donné et d’elle seulement, que dépend tout ce qui par la suite, lui advient.

Soyons clairs. Il ne s’agit pas ici d’un jugement moral quant à cette “responsabilité”, qui voudrait dire que les peuples opprimés auraient mérité de l’être, mais d’une considération cosmologique quant à ce en quoi consiste fondamentalement cette notion de responsabilité, à savoir ce qui incombe à celui qui, dans une situation donnée, est en mesure d’apporter une “réponse”, face à un problème posé.

Or, chaque peuple est évidemment le seul à pouvoir apporter une réponse quant à ce qui tend à lui advenir, puisque c’est à partir de la disposition qui est la sienne qu’il lui advient, et il n’est pas censé ignorer la Loi, qui lui fait obligation de “prévoir”. Il lui appartient alors, de modifier en conséquence sa disposition, et éventuellement, chercher des concours ailleurs, pour pouvoir affronter ce qui s’annonce plus fort que lui. Mais dans tous les cas, la réponse est dans son camp.

Ainsi, comme ils ne cessent de le faire, les Africains peuvent bien continuer à hurler, et à se plaindre, en faisant des Européens les responsables exclusifs de tous leurs malheurs, c’est eux, et c’est tout simplement eux, qui portent la responsabilité écrasante du “désastre”, qui s’est abattu sur eux, par le moyen des Européens qui ne furent alors que les “instruments”, du “châtiment” que le ciel leur inflige depuis près de cinq siècles, parce que jusqu’à ce jour, ils refusent obstinément, se proclamant innocents, d’envisager en quoi ont-ils pu l’offenser.

Parler ici de “désastre”, selon l’origine “des-asteris” de ce terme, évoque bien ce qui procède fatalement d’un divorce d’avec le ciel (asteris), en ignorant les nécessités du “Mon”, c’est à dire de la “destinée”. Ceci, telles que le ciel les signifie pour qui accepte “d’ob-server”, c’est à dire se mettre “au service” de ce qui se situe “par devant” (ob), c’est à dire “l’avenir”. Ces nécessités du Mon, constituent l’objet du “mon-asteris”, c’est à dire le “monastère”, terme qui de la même façon que le mot “ministère”, désignait à la fois, le lieu d’un exercice, en l’occurrence, un “observatoire”, et l’exercice lui-même, c’est à dire la “prévision” bien sûr, mais surtout “l’observance” découlant logiquement de cette observation. Il s’agit alors de l’ensemble des attitudes par lesquelles on doit “s’ob-liger”, autrement dit se lier à “l’avenir”, en se soumettant ainsi à ses “exigences”, pour qu’il nous en advienne pour le mieux.

Attardons-nous quelques temps ici, pour constater à quel point dans les temps anciens, c’est à dire avant qu’une pensée provenant des hommes du nord, lors des grandes invasions, ne se soit imposée d’abord à l’Europe, puis au monde entier, les hommes étaient préoccupés par la prévision, grâce à laquelle ils assumaient leur responsabilité quant à leur devenir. Se sachant soumis aux règles du cosmos, tel que rien de ce qu’il advient, n’est le fait du hasard, c’est par cette prévision qu’ils se garantissaient le bien être, par une quête du meilleur devenir.

Le “servant” du Mon, était dit le “mono-ke”, avec le descriptif “ke”, de l’homme dans sa “quête”, c’est à dire dans sa station debout, tel qu’il se trouve sollicité par le ciel, lequel “exige” de lui, selon le tropisme céleste “Ka”, celui-là même des Egyptiens, qui sous-tend la spécificité de l’individu. Ce ciel lui-même était alors dit “Ka-el”, qui fut latinisé en “caelus”, dont le français a tiré “ciel”. Ce descriptif ke de l’homme dans sa quête, que l’on retrouve jusque dans le créole antillais dans “be-ke”, littéralement, “l’homme blanc”, était donc fondé pour le monoke s’inquiétant d’avenir, et dont le nom fut d’abord hellénisé en “monochoeus”, puis latinisé en “monachus”, dont le français a tiré “moine”. Sa fonction qui était de traduire les indications du ciel, tel que celui-ci lui signifiait le temps, avec toutes ses implications, fut identifiée au registre rendant compte des étapes du temps, sur lequel il consignait les données de son observation, et que les arabes ont rapporté par “al manach”.

Un de ces servants du Mon, autrement dit, un de ces astrologues, désigné pour cela comme étant un “mani-ke”, et qui est aujourd’hui plus connu sous le nom de Mani ou Manes, fut le fondateur d’une doctrine dualiste connue comme étant le “Manichéisme”, où il tenta de rendre compte de la contradiction fondamentale à laquelle nous autres nous sommes soumis. Ceci, entre une attraction de la terre, qui nous nous détermine à “être”, en nous constituant comme des “entiers”, selon les nécessités de notre individualisation, et une exigence du ciel, lequel quant à lui, nous détermine à “autre”, en nous constituant comme des parties d’un tout, selon les nécessités de notre socialisation.

Précisons dès ici que, selon les appellations métaphoriques de la tradition ésotérique, la “terre” désigne le fait de “l’entier”. Ainsi nous est-il dit que le premier homme fut fait de terre, pour nous signifier qu’il fut fait comme un entier indivis, autrement dit un “individu”. Ceci, en opposition du “ciel”, qui désigne quant à lui, le fait de “disparité”, et qui constitue comme tel, le lieu de tous les êtres “disparus”, dont on nous dit alors, qu’ils sont “au ciel”.

Ces métaphores sont parfaitement valables, parce que c’est bel et bien corrélativement à l’attraction terrestre, manifestation locale de la gravitation universelle qui bien sûr est “une”, que, selon une même tendance, tous les objets à la surface de la Terre, de même que celle-ci, se trouvent constitués comme des entiers. Quant au tropisme céleste, celui que refusant de le nommer ainsi, compte tenu de la charge sémantique justement ésotérique, du terme “céleste”, les spécialistes préfèrent désigner autrement, mais improprement, “géotropisme négatif”, c’est bien lui qui, en empêchant un effondrement de l’entier sur lui-même, maintien d’abord ses particularités, mais finalement les “altère”. Ceci, compte tenu qu’il résulte de l’exercice sur les entiers de notre Terre, de la disparité des objets célestes, lequel exercice varie dans le temps, selon la circulation de ces objets, telle que celle-ci nous signifie justement ce temps. C’est ce qui explique la parenté sémantique entre “altus”, signifiant de qui est “haut”, et “alter”, signifiant ce qui est “autre”.

Maintenant, il est facile de comprendre que ce n’est que par la disparité de tout ce qui lui est “autre”, qu’il peut y avoir exercice sur un “être”, autrement dit sur un entier. Parler ici de l’exigence du ciel par rapport à nous, c’est parler de la disparité de tout de qui nous étant autre, le ciel pour nous, relève ainsi d’un “au-delà” spatial de nous, et qui exerçant sur nous, nous contraint à devenir autre en tendant vers lui, autrement dit vers l’avenir, puisque nous ne pouvons tendre que vers celui-ci. Il constitue ainsi également, un “au-delà” temporel de nous, “l’au-delà” proprement dit, lieu du “peut-être” sans limite, dont tout se peut, ce qui revient à dire “ce qui peut tout”, et que pour cette raison, la tradition nomme, le “tout puissant”.

C’est une préoccupation exclusive quant aux deux pôles opposés d’une contradiction, qui nous fait qualifier de “manichéisme”, toute pensée ignorant la “nuance”, autrement dit, tous les stades intermédiaires qui, mariant ces contraires, constituent les réalités de l’univers, puisque celles-ci sont nécessairement “déterminées”, et qu’elles le sont en mariant en elles-mêmes, ces deux contraires fondamentaux que sont, leur début et leur fin.

Comprenons que c’est ce “mariage de contraires”, qui caractérise le temps lui-même, tel que celui-ci se réalise bien du rapport de la “circonstance” à la “constance”, autrement dit, du rapport de ce qui change à ce qui demeure, qui est à l’origine de la “contrainte” inévitable, qu’impose à tout “être”, sa nécessaire préoccupation “d’autre”.

Ceci signifie que nous autres les humains, nous nous trouvons soumis à une contrainte, parce que l’attraction terrestre “naturelle” de notre “individualité”, à l’implication “égoïste”, selon une désignation homogène à celle de “Ge”, dieu de la Terre chez les Grecs, attraction dont la notation moderne est “g”, se trouve contrariée par une exigence céleste “culturelle”, tendance de l’être à autre, donc celle de notre “socialisation”, aux implications “altruistes”.

C’est bien cette “contrainte” constituant notre condition humaine, c’est à dire celle qui, en contrariant notre nature par une culture, fait de nous des animaux bipèdes “humanisés”, et que nous impose le temps selon les exigences du ciel, qui se trouve représentée par le grand “sphinx” de Gizeh, selon le mot grec “sphynge”, qui signifie précisément la “contrainte”.

Son corps de lion rappelle les nécessités naturelles “terrestres”, autrement dit égoïstes, de l’humain, logiques de son individualité, qui en font le prédateur par excellence, y compris de sa propre espèce, et sa tête d’homme rappelle le fait des exigences culturelles “célestes”, autrement dit altruistes, logiques de sa collectivité, qui contrarient logiquement les premières, lui imposant des contraintes comportementales auxquelles il doit se soumettre.

C’est dans ce sens que le grand sphinx se trouvait “orienté”, autrement dit, disposé en direction de “l’orient”, c’est à dire du “soleil levant”, celui que la tradition désigne par “Or”, il en a d’ailleurs la couleur, et qui constitue le “simulacre” de l’exigence céleste, c’est à dire la corrélation (simul), sensible (acer), autrement dit physique, de cette donnée métaphysique. Ceci parce qu’au levé (ant) de ce soleil, celui-ci contrarie les attractions naturelles de la Terre, dont il semble émerger.

Revenir à “l’âge d’Or”, c’est revenir au temps des exigences célestes, celles qui, procédant du peut-être sans limite, rendent à nouveau tout possible, en permettant qu’à partir d’elles, il se produise “ori-gine”. Et, c’est justement ce à quoi doivent désormais s’attacher les Africains, pour se racheter sous le regard d’un ciel fortement courroucé.

Car, ne rien avoir prévu, et donc ne s’être obligé à rien, s’être ainsi délié des exigences célestes, lesquelles sont des exigences d’humanité, telle fut la faute. Car, jusqu’à aujourd’hui, ces exigences demeurent constamment bafouées, dans des sociétés africaines où n’a toujours pas été constituée, comme cela a été fait dans de nombreuses autres sociétés, avec livres sacrés ou autre table de la Loi, une nomenclature opposable à tous, des obligations et des interdictions constituant la base d’une ascèse comportementale, afin de la dignité de l’homme, et constituant par-là, une action de grâce, rendue au ciel.

A cela s’est ajoutée la pratique absolument détestable du “travail de la Terre”, métaphore utilisée en occident sous le terme “paganisme”, autrement dit “travail de paysan” (pagan), qui consiste à porter atteinte à l’autre par toutes sortes de manipulations malfaisantes utilisant alors ce que nous avons de “commun”, autrement dit ce que nous avons de “sacré”, ce commun faisant l’objet de toutes les précautions, dans les différentes doctrines religieuses. C’est bien sûr, corrélativement à l’attraction centripète de la Terre, que tous les objets situés à sa surface se sont trouvés constitués d’une pluralité de parties, rassemblées comme si elles n’en formaient qu’une, autrement dit que ces objets se trouvent constitués “comme un”, et que l’ensemble de ces objets y compris donc les humains, se trouvent à leur tour rassemblés sur cette Terre, comme s’il ne formaient qu’un, avec elle. Le “commun”, signifié par la Terre, est donc le lieu de “communication” entre les humains, objet sacré de la religion afin du meilleur de notre humanité, mais qu’en Afrique, des hordes de salopards se sont employés à détourner, afin de pouvoir porter atteinte aux autres.

Enfin, couronnant toutes ces outrances comportementales, le fait de s’être constitué le “chasseur” de son prochain, pour pouvoir satisfaire contre divers avantages, un innommable marché de l’humain, allait déclencher les foudres du ciel.

Jusqu’à aujourd’hui, la réalité de cette lamentable histoire, demeure constamment, mais stupidement niée par les Africains, puisqu’il s’agit justement là, de l’élément essentiel de la disposition qui allait amener le “châtiment.” A quoi cela sert-il de nier encore tous ces faits, sans lesquels la situation actuelle de l’Afrique ne possède aucune explication, sauf à dire que ces Africains seraient nominalement incapables, face aux autres.

Il y a déjà plus d’une dizaine d’années de cela, comme le temps passe, pensant que j’étais historien, ce qui n’est pas le cas, plusieurs associations m’ont proposé de donner des conférences, à l’occasion du “cent cinquantenaire” de l’abolition de l’esclavage. J’ai accepté le challenge, en prenant soudainement conscience que moi, pourtant descendant d’esclave, j’ignorais dans toute sa complexité, l’essentiel de ce qui à ce jour, aura constitué et de très loin, par son ampleur, par sa durée, et par ses implications sur trois continents, le fait le plus dramatique de l’histoire de notre humanité.

Disposant, une fois n’est pas coutume, d’un délai suffisant pour m’y préparer, je me mis au travail. Ne disposant pas à cette époque, de ce formidable instrument qu’est l’Internet, je m’en allais donc passer mes après-midi dans différentes bibliothèques, dont Beaubourg, qui à cette époque, possédait de nombreux ouvrages sur la question. La bibliothèque ayant depuis à nouveau déménagé, de nombreux ouvrages ont été supprimés, et il est possible que le sujet ne soit pas aujourd’hui, aussi bien documenté qu’il l’était à l’époque. Pour être encore plus efficace, j’utilisais les services d’un de mes amis qui avait accès aux archives, et à la bibliothèque nationale, et la somme de documents que nous avons pu réunir dans la phase documentaire de mon travail, est vite devenue impressionnante.

Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que s’il existe bien des faits historiques qui peuvent prêter à controverse, compte tenu d’une incertitude relative à un manque de documents, ce n’est certainement pas le cas de la traite négrière transatlantique. Cette affaire commerciale fut extrêmement lucrative, et, à ses plus belles heures, avec toutes ses activités connexes, celles concernant les “paquets” devant servir de monnaie d’échange pour l’achat des captifs, elle ne représentait pas moins de 1/5 ème de l’activité économique de ce pays de France, et n’employait pas moins de un français sur huit ! Elle a donc laissé de nombreuses traces qu’il est parfaitement stupide de contester.

C’était une affaire considérable ! Nous sommes ici, bien éloignés de la représentation la plus courante, et totalement infantile de cette affaire, qui voudrait voir simplement quelques aventuriers Européens, s’en aller razzier des nègres le long des côtes du golf de Guinée, pour s’en aller les revendre aux Amériques. Car si ce genre d’événement s’est évidemment produit, pour autant, il s’agit là d’épisodes parfaitement marginaux, face à l’ampleur considérable qui fut celle de la traite à ses plus belles heures, où il fut question de transporter des “millions” d’hommes par delà les océans.

Compte tenu de l’épais brouillard savamment entretenu concernant cette affaire dont personne n’est fier, il est difficile d’imaginer a priori, l’incroyable complexité, politique, technique, commerciale, et financière, d’une campagne négrière qui durait plusieurs mois, mettant en œuvre un navire capable d’embarquer plusieurs centaines d’esclave, qu’il fallait bien malgré tout entretenir et soigner, puisqu’il n’était pas question de livrer des cadavres aux Amériques, ce qui nécessitait une logistique inaccessible pour de simples aventuriers.

Une telle campagne coûtait la bagatelle du prix d’un hôtel particulier parisien ! Il s’agissait là d’une somme énorme qu’aucun investisseur n’aurait risqué au hasard d’une traite “à la volée”, c’est à dire où on procédait à l’acquisition de captifs, au hasard de l’offre locale le long des côtes, après avoir donné un coup de canon pour signaler son intention d’acheter, et après avoir disposé sur le rivage, les paquets, ceux-là qui ont donné leur nom à la “pacotille”, et que ceux du coin disposant de captifs à céder, venaient examiner pour savoir si l’échange leur convenait.

Non, les grandes entreprises de traite, gérées depuis Nantes ou Bordeaux, par des gens qui n’avaient jamais vu un nègre de près, s’adressaient bien sûr à des enseignes bien en vue, c’est à dire les “factoreries”, sorte de comptoirs tous commerces, y compris celui de captifs, pour lesquels ils disposaient d’installations, et où les rois nègres faisaient livrer leurs convois.

Car, ce qui se révèle clairement de toute cette investigation, et qui n’a pas manqué de chahuter quelque peu l’âme du descendant d’esclave que je suis, c’est que contrairement au mensonge encore odieusement entretenu, ce sont bel et bien des Africains qui ont pourchassé, capturé, entravé, convoyé, d’autres Africains, pour les livrer sur le marché, à des Européens dont le crime fut d’avoir sollicité, encouragé, et rémunéré, ce trafic infâme.

Comprenons bien la situation. Des recherches ont montré la présence aux Antilles, d’hommes venant d’ethnies africaines situées à plusieurs centaines de kilomètres des côtes. Imagine-t-on quelques aventuriers, armés de vielles pétoires du seizième siècle, qui ne tiraient un coup que toutes les dix minutes, et qui n’étaient donc bonnes que pour des batailles rangées européennes, mais certainement pas pour pourchasser des nègres dans la brousse, s’enfoncer aussi profondément dans un continent qu’ils ne connaissent pas, au milieu de populations hostiles. Ceci, pour s’en aller livrer bataille à des tribus entières, qui n’auraient pas manqué de vendre chèrement leur peau, les pourchasser, les encercler, les capturer, les entraver, et surtout, les convoyer dans un voyage retour vers la côte qui, pour des centaines de kilomètres, durait plusieurs semaines, pendant lesquelles, en plus de surveiller les captifs, il fallait bien les entretenir puisqu’ils n’auraient pas marché des semaines, le ventre vide.

De plus, il fallait protéger le convoi des attaques de “braconniers”, pour lesquels il était évidemment beaucoup plus facile, de s’emparer d’un cortège de nègres déjà tout ficelés, plutôt que de leur courir après dans la brousse, les uns après les autres, afin de s’en aller les vendre.

Quelle sourde mauvaise conscience, contraint encore tant d’hommes à se convaincre de croire à une telle connerie ? l’Africain a bel et bien vendu l’Africain, et nous savons aujourd’hui que tous ces nègres “grand teint”, c’est à dire chez lesquels il n’y a pas l’ombre d’un métissage, et qui cependant, portent des noms espagnol ou portugais, ne sont rien d’autre que les descendant des “convoyeurs”, mis au service des négriers, qui passaient commande à leur roi.

La contestation de cette vérité par les Africains est d’autant plus grotesque, que mine de rien, le système perdure jusqu’à aujourd’hui, les rois nègres sont toujours là, ils continuent de céder leurs hommes au marché de la main d’œuvre européenne, et se satisfont de pacotille, en échange du pillage des ressources naturelles de leur pays.

Que s’est il donc passé ? Les africains sont-ils fondamentalement plus mauvais que les autres hommes ? Non bien sûr, mais ils ont ignoré la Loi, et par cela offensé le ciel en se laissant aller dans une situation qui allait les condamner au tourment.

Observons en effet que l’exigence céleste contrariant la tendance égoïste de l’humain, détermine son “être” à “autre”. Ceci, de sorte que le manque ou le refus de “l’altérité”, et de son implication logique qui est “l’altération”, autrement dit le changement, celui-là même qui marque le développement du temps, constitue dans ce sens une offense faite au ciel.

Dès lors, si pour comprendre la raison de ce qui fut leur condamnation par le cosmos, il nous faut déjà vérifier, si les sociétés africaines traditionnelles étaient vertueuses ou pas, il nous importe surtout de savoir si elles étaient cohérentes avec les autres sociétés humaines. Or, de toute évidence, elles ne l’étaient pas, puisqu’elles demeuraient encore hors du champ d’altération mutuelle avec celles-ci.

Comprenons bien que la déliquescence des sociétés africaines, provoquée parce que, comme chez les individus, une sorte de destruction de leurs défenses immunitaires, a favorisé une intervention opportuniste des Européens chez eux, est due fondamentalement au fait que, paradoxalement, par manque “d’altérité”, elles avaient déjà perdu leur “intégrité”, et dès lors, la déchéance de leurs mœurs, était inévitable.

Notre “comportement”, est logique de la façon dont nous nous trouvons constitués, autrement dit de ce que justement nous “comportons”, c’est à dire cette pluralité de parties, selon lesquelles se trouve établie notre “particularité”, celle-là même qui doit nous permettre de nous inscrire favorablement, comme la partie de l’ensemble supérieur qui nous englobe.

Le bon comportement d’un individu, est donc celui qui lui permet de s’établir dans les relations les plus favorables avec les autres, afin de s’intégrer pour le mieux dans son groupe. Cette disposition possède une réciproque redoutable, à savoir que ce n’est qu’à condition d’être bien intégré dans son groupe, qu’il est possible à un individu de bien se comporter. Ainsi, tous ceux qui, sur la base d’un a priori stupide, social ou racial, se trouvent exclus de la collectivité à laquelle ils appartiennent normalement, sont-ils condamnés à mal se comporter. C’est le cas de toutes les minorités ségréguées, et ce que nous constatons dans les quartiers, qui furent conçus sur la base d’un bon sentiment, permettre aux gens de condition modeste de se loger, mais malheureusement, selon une “ségrégation” qui allait rassembler tous ces gens, dans des quartiers spécifiques, et par-là les exclure, avec les conséquences comportementales détestables, qui allaient se révéler au fur et à mesure des années.

Dans la chaîne comportementale de l’individu au sein de son groupe, du groupe au sein de la nation, et de la nation au sein du concert des nations, toute rupture entraîne des conséquences catastrophiques, dans les maillons inférieurs. C’est ainsi que sauf si elles se trouvent sous la poigne d’un dictateur intraitable, ou si elles se sont dotées selon une tradition, d’un code d’exigences extrêmement rigoureux, de sorte qu’il ne soit nullement nécessaire, que celles-ci soient exercées sur elles par les nécessités de leur appartenance, les nations dont leur concertation avec les autres demeure insuffisante, manquent d’intégrité, puisqu’elle ne s’inscrivent pas dans ce qui, de l’individu à l’humanité toute entière, tend à ne faire “qu’un”. Elles sont de ce fait extrêmement vulnérables face aux interventions des autres, et sont le lieu, comme c’est le cas en Afrique, de sociétés “a-morales”, c’est à dire dans lesquelles aucun n’envisage de se soumettre totalement à la rigueur des règles, afin de la bonne santé de celles-ci, et qui voient leurs membres fatalement “mal intentionnés”.

Ceci, étant entendu que “l’intention” d’un “être”, ne peut avoir “qu’autre” pour objet, puisque cet être ne saurait en aucune façon être l’objet de lui même. Dès lors, la résolution spatio-temporelle de cet autre implique, “autre que ce qui est”, pour le temporel, lequel ne peut provenir que “d’autre que celui qui est”, pour le spatial, qu’il s’agisse alors en cet autre spatial, d’un autre endroit, ou d’autres hommes.

Les Africains qui demeurent bien loin de prendre conscience du fait que “autrement”, se trouve fondamentalement lié à “autre part”, pensent selon ces éternels projets velléitaires, dont ils se saoulent depuis des décennies, qu’il se pourrait un renouveau de leurs sociétés, s’opérant à partir d’eux-mêmes, tentative dont nous comprenons maintenant la fatale vanité. Ceci, alors qu’il n’existe dans l’histoire, aucun exemple d’un renouveau qui fut “auto-généré”, que nous savons le rôle qui fut celui des “Arabo-andalous”, dans la “renaissance européenne”, et alors même que tous les autres, Indiens, Indonésiens, Chinois, Japonais et autres, ont pris acte du fait historique que fut l’intervention des Européens chez eux, comme l’occasion de leur renaissance, et qu’ils s’emploient avec une efficacité spectaculaire, à construire à partir de ce bouleversement, leur nouvelle société, et là, il ne s’agit pas de baratin.

Refusant une altérité, salvatrice quant elle est intelligemment envisagé, dévastatrice quant elle est refusée, et qu’elle s’imposera de toutes les façons malgré tout, les Africains demeurent par le fait mécaniquement mal intentionnés, s’acceptant dans des sociétés licencieuses, ou règnent, l’irresponsabilité, la fraude, la combine, l’escroquerie, dont ils rendent responsable, les menées opportunistes de l’ancienne métropole coloniale, sans considérer que c’est a eux d’avoir les comportements adaptés qui leurs éviteraient celles-ci

Partant du principe que nul n’est censé ignorer la loi, c’est à dire celle qui fait obligation à tout “être”, de se faire progressivement “d’autre”, afin de satisfaire à cette exigence du temps que constitue l’altération, et à laquelle se trouve soumise même la matière qui nous semble la plus inerte, le cosmos qui ne s’en laisse pas conter, et qui ne se laisse pas davantage attendrir, a fait dévaster ces sociétés figées qui telles, le narguaient, et ceci, afin qu’il en advienne enfin d’autres, mises à jour.

Or, que font ces Africains pourtant déjà si sérieusement corrigés ? Ils pleurent et se lamentent sans cesse sur leurs sociétés perdues, au lieu de regarder l’avenir avec optimisme, pour proposer selon leur goût au reste de l’humanité, des formes nouvelles pour sa modernité. Et certains se proposent même voyez-vous, d’en revenir à des structures délaissées du passé, en empruntant le sens interdit de l’histoire, et en défiant par cela, Chronos lui-même.

Les représailles du ciel pour ce refus caractérisé de l’altérité risquent d’être terribles, sauf si interviennent opportunément dans cette affaire, les descendants des “exilés”. Ceci, pour permettre à l’Afrique qui ne le peut par elle-même, puisqu’elle refuse d’emprunter la voie qui y conduit, d’entrer dans un nouvel “âge d’or”.

Cependant, il existe une totale et surprenante inconscience d’eux-mêmes des Antillais, qui leur est totalement stérilisante quant à ce qui constitue leur exceptionnelle “vocation”, qu’ils ne soupçonnent pas un seul instant de posséder, aveuglés qu’ils sont par la rancœur. Ceci tient tout d’abord au fait qu’à la différence de bien d’autres peuples plus sûr d’eux, ces Antillais n’admettent toujours pas le fait historique, et la nécessité d’en prendre acte, quelles qu’en soient les implications, parce que tout comme les Africains, ils le vivent comme une défaite définitive.

En fait, tout se passe comme s’ils se réservaient de parvenir un jour à effacer l’histoire qui les a fait tels qu’en eux-mêmes, pour revenir à une antériorité idéalisée, qui leur permettrait de ne pas emporter malgré eux, comme étant désormais leurs propres caractères, ceux du colonisateur honni. Dans cette attente vaine face au vent irréversible de l’histoire, et alors qu’ils se croient encore défavorisés par celle-ci, les Antillais manquent de remarquer que c’est pourtant à partir de deux défaites, celle devant les Romains, puis celle devant les Francs, qui ont provoqué l’une et l’autre une très forte aliénation des perdants, que s’est finalement constituée cette puissante nation occidentale qu’est la France. Ils devraient donc considérer, que l’aliénation des Africains dont ils sont issus, ne constitue en rien une défaveur pour eux, et que la défaite des peuples africains, ne condamne pas pour autant leurs descendants exilés, à l’impuissance et à l’insignifiance. Il est donc temps pour eux de cesser de regretter ce qui n’est plus, et qui ne sera plus, et surtout de prendre conscience que :

“ Un peuple qui continue de commémorer comme un grand malheur, les événements ayant provoqué son émergence, procède insidieusement par cette déploration de ce qui constitue pourtant bien sa raison d’être, à sa propre mutilation ”.

Il importe maintenant, que les Antillais se libèrent enfin de ces obsessions ténébreuses, en envisageant le fait que si, soumis aux implacables exigences de la destinée, leurs ancêtres africains se sont trouvés à payer un si lourd tribut, c’est probablement pour que, eux Antillais, ils aient le bonheur d’exister aujourd’hui tels qu’ils sont, et là où ils sont, pour être en mesure d’accomplir en retour, une mission salvatrice envers le continent. Dans cette compréhension des choses, le sacrifice de leurs anciens correspondrait au prix qu’exige la mise en capacité, d’un peuple justement “envoyé”, à charge de ces tourments. Dès lors, assumant leur vocation, ils devraient désormais se savoir investis du devoir “sacré” de racheter par leur “excellence”, et non par la vindicte ou le règlement de compte, le sang et les larmes versées.

En ne perdant pas de vue maintenant, que le fait antillais n’aurait pu être “provoqué”, s’il n’avait déjà été établie, selon une impérieuse nécessité, une vocation à celui-ci, nous entrevoyons qu’il existerait bien, à travers toutes les épreuves qui furent impliquées selon elle, et qui justement témoignent d’elle, une nécessité historique des Antillais. Dès lors, ceux-ci devraient déjà être assurés que, sauf à se croire par ailleurs les victimes désignées de quelque divinité malfaisante, la logique de leur fait ne saurait prévoir comme “possible” pour eux, que leur perpétuel accablement.

Cette dernière proposition, qui doit permettre aux Antillais de se rétablir selon une vision optimiste des choses les concernant spécifiquement, pourrait sembler n’être a priori, qu’une proclamation militante et convenue, de circonstance. Mais, nous devons comprendre qu’il ne s’agit ici, en cette perspective heureuse de “rédemption”, que de l’implication logique de ce en quoi consiste fondamentalement ce que nous désignons comme étant le “possible”.

Revenons à la cosmologie, pour établir le fait d’un “potentiel” encore insoupçonné, qui constitue la faveur des Antillais, car c’est d’une bonne compréhension de cette question, que viendra leur prise de conscience d’eux-mêmes.

Rappelons donc à ce sujet que, permettant qu’il en advienne d’autres à partir d’elle, toute “disposition des choses” représente en ce sens, le “possible” de ces autres à venir. Observons alors que ce possible, se décline nécessairement selon une pluralité d’options, car s’il n’était qu’un cas de devenir possible à partir d’une situation donnée, la réalisation de celui-ci ne se trouverait conditionnée par rien, puisqu’il ne pourrait en être d’autres. Dès lors, aucune condition à satisfaire n’en fixerait l’instant.

Rappelons également, que la potentialité des choses n’est pas soumise à condition, puisqu’il n’existe justement de condition, que pour qu’en son lieu et en son temps, une chose quelconque “soit”. Ceci signifie que préalablement à son émergence, toute chose se peut sans aucune condition restrictive concernant sa potentialité, autrement dit, elle se peut et par-là, elle “se tente” constamment. Comprenons bien ici, que la potentialité d’une chose s’établit logiquement selon une “tendance” à celle-ci, sans laquelle ce possible ne signifierait rien, puisqu’en manquant d’être sollicitée, cette capacité ne se réaliserait jamais. Admettons d’autre part que, hors de la réalité d’une chose, cette tendance liée à sa potentialité est forcément constante, puisqu’il n’existe rien hors de la dualité “réalité / potentialité”, qui ne relèverait ni l’une ni l’autre, de telle sorte qu’en n’étant pas encore ou, en n’étant plus réelle, cette chose pourrait manquer d’être potentielle. Il vient ainsi que, puisque forcément potentiel, tout ce qui “n’est pas”, systématiquement “se peut”, et donc “se tente” constamment.

Il vient finalement, qu’à partir d’une disposition des autres choses, qui est celle qui le rend possible, et selon laquelle il se tente constamment, l’instant d’un événement n’est rien d’autre que celui où se trouvent enfin satisfaites, les conditions de sa réalisation. Si donc à partir d’une situation donnée, il n’y avait qu’une possibilité pour le fait à suivre, aucune condition à satisfaire ne serait nécessaire pour déterminer son choix parmi d’autres et, faute de voir l’instant de sa réalisation établi par la satisfaction occasionnelle d’une condition, elle n’aurait par le fait, pas d’occasion de se réaliser. Une telle possibilité n’en constituerait précisément pas une. Ceci confirme qu’il n’y a de possible que selon une pluralité d’options, et c’est précisément leur pluralité, qui fait que ces options se trouvent soumises à condition. Ainsi, les hommes politiques qui n’ont de cesse de proclamer qu’il n’y a pas d’autre option possible, que celle qu’ils proposent, se placent-ils eux-mêmes, dans l’impossibilité d’agir.

En fait, dans la modalité des mécanismes selon lesquelles il se développe du temps, c’est à dire ceux de l’ensemble des événements selon lesquels “il se passe”, il se produit forcément un “choix”, celui d’une option singulière du possible “à venir”, parmi une pluralité d’autres.

Ceci signifie qu’à partir d’une situation “actuelle”, sont possibles plusieurs situations à venir, dont une seule se réalisera dès lors que par la satisfaction des conditions nécessaires à son fait, sera effectué son choix. Or, par rapport à la détermination d’un individu ou d’une collectivité, ces différentes options du devenir possible, ne peuvent bien sûr pas avoir la même valeur et, compte tenu de la “divergence” selon laquelle elles se trouvent déterminées, à partir de l’axe de neutralité du prolongement d’une situation donnée, s’il en est de nature à dégrader celle-ci, il en est forcément de nature à l’améliorer.

Etant principalement préoccupés par des nécessités du présent qui justifient l’essentiel de notre entreprise, nous manquons de prendre conscience que, dans la mesure où il n’y a dans tous les cas, d’action possible pour nous, que selon une pluralité d’options, nous sommes bel et bien par les implications de tous nos faits et gestes, qui sont ceux-là plutôt que d’autres, les opérateurs du choix de notre devenir. Il apparaît ainsi que, par une succession d’options qui seraient heureusement choisies, et dès lors que par une préoccupation quant à son devenir, une collectivité se mettrait en situation de pleinement maîtriser ce choix, un avenir meilleur, voire graduellement fastueux, demeure toujours “possible” pour elle. Et ceci, même à partir des situations les plus dramatiques.

Considérons maintenant qu’à partir d’une situation où se trouve établi un potentiel, c’est à dire la forme concrète d’un possible, le non-usage de celui-ci correspond en quelque sorte à sa “capitalisation”. Ceci, pour cette raison que nous avons déjà évoquée, à savoir qu’il ne peut rien y avoir hors de la dualité “potentialité / réalité”, ce qui fait que ce qui ne relève pas de l’une, relève nécessairement de l’autre. Ceci signifie qu’il ne peut se produire l’annulation d’un potentiel quelconque, que par la réalisation formelle et concrète de celui-ci, et qu’en aucune façon il ne saurait simplement s’évanouir à la longue, dans la nuit des temps. Disons encore autrement qu’un potentiel non réalisé demeure, et que la multiplication des occasions d’établissement de potentiel, implique logiquement une accumulation de celui-ci, s’il n’est pas utilisé. Dès lors, puisque la distribution des options possibles prévoit forcément une option favorable constituant comme telle, un potentiel favorable, et que pour les Antillais, la réalisation de ce potentiel favorable fut durablement frustrée, par le fait que la servitude ne permettait pas que ses conditions soient satisfaites, cette frustration ne peut manquer d’avoir constitué pour eux jusqu’à nos jours, un “capital de faveur” absolument considérable.

De tout cela, il apparaît que les Antillais sont bien les héritiers d’un capital de faveur, accumulé par le sacrifice de leurs anciens. Comprenons en effet que par les dispositions qui furent les leurs, à endurer en attendant des jours meilleurs, et par un legs de ce vécu tragique, accumulé par les générations successives en une mémoire collective, ces anciens ont participé tout à la fois, à la détermination des Antillais d’aujourd’hui, telle qu’elle se manifeste déjà dans plusieurs domaines où ils excellent, et à une capacité à exercer selon cette détermination. Car si ce souvenir possède bien sûr des implications quant à la façon de penser des Antillais, autrement dit quant à leur “disposition” à envisager les choses, observons que par le caractère “intentionnel” de ce en quoi consiste une disposition, il possède également des implications comportementales. Ceci signifie en fait, qu’à une façon de penser, correspond logiquement une disposition à exercer. Ainsi, même s’ils ne sont plus de ce monde, ces anciens demeurent par leur souvenir, en quelque sorte “sous-jacents”, aux Antillais d’aujourd’hui. Nous pouvons dire finalement que ces derniers héritent forcément en eux-mêmes, des “dispositions” selon lesquelles un potentiel de leurs anciens fut capitalisé, par la frustration totale de sa réalisation, et par-là, de ce potentiel lui-même.

Ce que nous venons de mettre en évidence, c’est le fait d’une logique liée au cosmos, c’est à dire à la logique de succession des choses, et par-là des êtres, et qui de ce fait possède des implications qui transcendent les générations.

Selon cette logique, qui est en quelque sorte “transgénérationnelle”, les épreuves endurées par un peuple constituent pour ses descendants, un capital de faveur dont il leur faudrait déjà prendre conscience, afin de pouvoir l’exploiter. Mais ceci notons le bien, à condition tout d’abord que ce peuple soit bien désigné en ce sens, c’est à dire qu’il possède selon sa vocation, un objet correspondant au champ d’application de cette faveur. D’autre part, il faut surtout qu’à cette occasion, il se produise une “rédemption”, c’est à dire qu’en aucune façon, en quête de réparation, ce peuple ne procède contre les autres, et par un esprit de vengeance alors mal venu, à une “représentation du mal” qui lui à été fait. Car, de la même façon que l’efficacité maximale d’une machine électrique s’obtient avec la plus grande différence de potentiel possible, établie entre les deux pôles de son alimentation, c’est logiquement selon une opposition diamétrale entre ce qui constitue l’objet d’un peuple, et ce dont il fut l’objet lui-même, que s’établit sa capacité maximale à exercer positivement.

Ceci pour dire qu’il ne suffit pas qu’un peuple ait enduré, pour que se réalise sa faveur, car ce n’est que par sa disposition à ne rendre que le bien pour le mal, qu’il se trouve en “situation”, d’exploiter son capital. Il faut finalement qu’un peuple qui serait désigné en ce sens, satisfasse par un choix pertinent quant aux actions à mener, c’est à dire un choix logique de sa vocation, et au prix des exigences de celle-ci, les conditions de la réalisation du meilleur de ce possible. Et ceci, étant bien entendu que la détermination d’une option singulière quant au devenir, s’opère nécessairement par une mise en œuvre quelconque.

Bien sûr, il ne sera pas facile de faire admettre à des Antillais désenchantés et intimidés que, malgré les blessures du passé, et l’âpreté qui demeure celle de leur actuelle existence, nous nous trouvons en un instant particulier de l’histoire de notre humanité qui, sans qu’ils en aient pris conscience, crée leur faveur. Cependant, en constatant les défaites sociologiques qui, de toutes parts, caractérisent notre époque, tant d’échecs répétitifs quant au règlement des mêmes problèmes, même de la part de peuples parvenus pourtant au fait de leur civilisation, signifient clairement que l’heure est venue de ceux qui, partageant malgré tout la même solidarité, ne se sont pas encore exprimé quant à l’organisation de celle-ci. Ceci signifie que, dès lors qu’épuisant toutes leurs options possibles, tant de superbes ont échoué, se trouvent naturellement investis des espoirs de tous, même si c’est malgré eux, ceux qui, sur la marge de leur société et par-là de son conformisme, représentent pour celle-ci les dernières chances de propositions nouvelles.

C’est ainsi, en marge des sociétés européennes en proie au doute, et des sociétés africaines au bord de la déroute, que se trouve établie la grande occasion des Antillais, qui en tout état de cause, sont bien aujourd’hui parmi les plus chanceux des hommes, puisqu’ils possèdent ce qu’il peut y avoir de plus précieux pour la félicité d’un peuple, c’est à dire un vaste plan d’interaction possible avec d’autres peuples.

C’est probablement parce que face à ses difficultés irréductibles, elle prend conscience confusément, de son incapacité à se sortir par elle-même de ses impasses, que la métropole s’est employée à l’occasion d’événements récents, à déployer le tapis rouge pour les Antillais. Ainsi, tout un peuple qui se souvient que par deux fois déjà, et par delà bien des griefs, leurs compatriotes d’outre mer n’en sont pas moins venus à la rescousse, semble espérer que le formatage stérilisant de la pensée, au service des seules ambitions productivistes, dont il a été la victime depuis des décennies, pourrait avoir épargné ceux qui, du fait des luttes qu’ils ont encore à mener, ne risquaient pas de croire à ce bobard à la mode, de la fin de l’histoire.

Quant au continent, certains ont voulu voir dans les poussières conséquentes à sa désertification, que les vents emportent désormais jusque dans leurs îles lointaines, un signe, pour qu’ils aient ainsi “vent” des souffrances étouffées.

Corrélativement, ceux du continent semblent prendre aussi conscience confusément, qu’ils ne pourront recouvrer leur “plénitude”, que par le retour vers eux de cette partie d’eux, depuis si longtemps exilée. Et ceci, d’autant que celle-ci étant désormais mariée à d’autres, elle leur permettra d’accéder à la positivité de ces autres, sans avoir à se soumettre à leur prétention.

Ce parcours “odysséen”, qui aura vu des Africains devenir des Antillais, puis ces Antillais devenir des Parisiens, verra finalement ces Parisiens devenir des Africains. Nous comprendrons que, pour tristement célèbre qu’il soit, l’aspect triangulaire de ce parcours, correspond justement à la raison même du fait Antillais, car étant celui de son “par quoi”, autrement dit de la “provocation” de ce fait, il constitue également celui de son “pour quoi”, c’est à dire de sa “vocation”.

Il importe finalement que sortent de l’incohérence comportementale, les Antillais qui, du fond de leur dénuement, ne se reconnaissent aucune responsabilité quant au règlement des difficultés de la nation à laquelle ils appartiennent, comme si celles-ci ne les concernaient pas. Ceci, parce que ne possédant aucun moyen, ils ne se sentent aucune capacité pour cela. Disons alors, qu’ils n’ont pas à posséder de moyens accessoires pour accomplir leur mission, car ils constituent justement par eux-mêmes, un peuple “moyen” des autres. En l’occurrence, ils constituent le moyen pour que les choses puissent “se passer” enfin correctement, c’est à dire dans l’intérêt conjoint des deux parties, entre leur métropole et les anciennes possessions africaines de celle-ci. Et ceci, dans une situation où il devient de plus en plus évident, que la sortie des difficultés que rencontre chacune des parties, que celles-ci soient économiques, démographiques, logistiques ou encore organisationnelles, ne pourra s’obtenir que par une coopération fructueuse avec l’autre.

Ceci étant, les Antillais doivent bien considérer une chose : il est impossible que notre humanité ait eu à accoucher dans de telles douleurs, de l’insignifiance, celle dans laquelle ils se complaisent avec une obscénité lamentable, en manquant d’observer et de s’obliger, afin d’accomplir la mission sacrée qui leur a été confiée, et au sujet de laquelle ils auraient du être alerté depuis longtemps. Ceci, en considérant simplement que le sacrifice de leurs anciens, ne pouvait pas, et ne devait pas l’avoir été, ni pour rien, ni pour si peu, c’est à dire pour ce qu’ils sont aujourd’hui. Cette attitude irresponsable et disons le clairement, totalement indigne, qui consiste à oublier quant à la “charge” écrasante qui doit logiquement leur en incomber, ce qu’a coûté à leurs ancêtres enchaînés au fond de la cale, la chance qu’ils ont quant à eux d’exister, puisque c’est bel et bien à ce prix qu’ils existent, et pour ne consacrer ces existences si chèrement payées par d’autres dont on manque ainsi au souvenir, qu’au flot de futilités bien souvent indécentes qui sont les leurs, constituent une offense au ciel qui là aussi, enverra le tôt ou tard, le “châtiment”.

Car, le ciel est généreux, mais susceptible, et quant on n’a pas l’heur de constater la chance qu’il vous envoie, il se vexe. Les Antillais ne peuvent être les plus heureux des hommes, que s’ils en prennent enfin conscience, sinon…

L’autre chose qu’il leur faut considérer, c’est que quant à l’accomplissement de leur charge, ils devront se purifier l’esprit, pour en dégager toutes les bassesses de sentiments inavouables, qui partout ailleurs, créent la désolation de notre humanité, et en particulier, la vindicte obsédée, qu’ils exercent contre la métropole et ses ressortissants, et qui procède de la “représentation du mal”, crime impardonnable sous le regard du ciel, qui ne se prive pas de sanctionner durement depuis toujours, les “célébrants du talion”.

Il faut comprendre que dans notre univers, le mal n’a pas d’origine, il est tout simplement le fait de sa “représentation”, autrement dit de sa “réactualisation”, lorsque ceux auxquels il a été fait offense, s’octroient alors le droit pour cela, d’offenser à leur tour.

Ces hommes se font ainsi des “représentants du mal”, que le ciel comme on l’imagine, n’apprécie pas. C’est donc justement parce que les Antillais, par leurs ancêtres et par eux-mêmes, ont connu toutes les formes de l’oppression, qu’il leur est fait clairement interdiction, d’avoir ni les actes, ni les paroles, ni même les pensées, de telles attitudes.

Puisque la métropole et les siens nous ont offensés, nous les sauverons, et telle sera justement notre dédommagement, et il ne sera pas mince !

Tout comme les Africains qui ne peuvent devenir autres, sans autres, la métropole ne trouvera le salut que grâce à ces “autres” des Antilles, qui sont les seuls à pouvoir la secourir du “naufrage conceptuel” qui l’entraîne vers les abysses, et ceci, à cause de la véritable “bérézina intellectuelle” que forment toutes ces brêles affligeantes de plateaux de télévision, qui aujourd’hui lui servent d’élite.

Enfin, aux Antillais qui me disent : “vois dans quel état nous sommes, comment nous imagines-tu capables de porter secours aux autres ?”, je me tue à leur expliquer que c’est précisément parce qu’ils manquent encore de s’accomplir selon leur vocation, qu’ils demeurent dans les problèmes, car ils demeurent dissociés, c’est à dire qu’il y a conflit entre deux parties antagonistes de leur psychisme, la française dont ils se défendent de la posséder, et l’africaine. Ce n’est que quant ils se constituerons comme étant le “moyen” entre ces deux éléments de leur appartenance, que se produira la réconciliation entre leurs deux partie, et qu’ils pourront enfin accéder à une intégrité qu’ils n’ont jamais connue, garante de leur plénitude et de leur bon “comportement”.

Il n’y aura pas de solution aux problèmes des Antillais, tant qu’ils ne s’emploirons pas à régler les problèmes de leurs deux appartenances…Il vaut mieux le savoir…

Paris le 11 octobre 2010
Richard Pulvar