jeudi 22 avril 2010

AVANT L’EVENEMENT

Tous les voyants socio-économiques de notre pays sont au rouge. Aucune astuce ne parvient plus désormais, à nous soustraire, par une présentation économétrique des faits, de la perspective ombrageuse d’un certain nombre d’implacables et affligeantes augmentations, celle du chômage, du déficit budgétaire, du déficit commercial, de la dette publique, du déficit des organismes sociaux, ces derniers passant pour légitimer une pratique de délocalisations, qui achève la sinistre désindustrialisation du pays. Augmentation également de la précarité, qu’elle soit professionnelle sociale ou conjugale, des expulsions, des sans abris, des mal logés, augmentation de l’intolérance, politique ou religieuse, tout autant d’aggravations qui clignent, comme autant de balises encadrant une voie de la désespérance.
Et pourtant, qu’en est-il de ce qui devrait être notre à propos en une telle situation ? Strictement rien. En effet, à l’exception de quelques effusions du fond de banlieues oubliées, où incendie de voitures et caillassage de bus semblent davantage relever d’un rite obscène de désœuvrés, que d’une saine révolte conscientisée, rien ne semble devoir détourner les citoyens de ce pays, de leurs seules préoccupations habituelles. Ils ont bien à faire, ce qui les disculpe, et d’ailleurs s’ils s’en chargeaient, ces questions ne feraient que les encombrer inutilement, puisque de toutes les façons, selon eux-mêmes, ils n’y peuvent rien.
Pour ceux qui comme moi, sont en âge d’avoir vécu quelques événements, cette indifférence tranquille, face à la logique menaçante d’une telle situation, et qui se veut passer pour de l’optimisme ou du stoïcisme, a quelque chose d’accablant, tant elle infirme cette idée à laquelle nous avons tant voulu croire, nous persuadant qu’un peuple majeur possède les moyens de s’éviter le pire. Il n’en est rien, nous irons vers “l’événement”, tragédie prévisible, et pied de nez que fait l’Histoire, par la permanence de sa problématique, à tous ceux-là qui, il y a quelques années, proclamaient sa fin. C’est probablement parce qu’il défie l’imagination, que nous demeurons à ce point incrédule quant au pire annoncé. Partant, le calme règne, comme il régnait sur cette belle place de Beyrouth, où avaient été édifiées autant de banques, qu’il y avait été planté de palmiers, ostentation assumée de la prospérité du pays, et où dans la tiède moiteur d’une fin d’après midi, les sourires troublants de ces belles femmes libanaises, vous laissaient croire un instant, qu’il serait là, possible d’ignorer l’interdit.
Qui donc en ces belles heures aurait pu croire que, seulement quelques mois plus tard, d’éternels problèmes jamais réglés, mais dont on avait fini par se faire à l’idée facile, qu’ils se contenteraient de n’être qu’éternellement posés, allaient sous le coup d’incidents accessoires, et même étrangers au pays, plonger celui-ci dans ces quinze interminables et terribles années, d’une tourmente dévastatrice, où chacun s’est découvert à sa porte, un ennemi à abattre.
Le calme régnait, là aussi quelque mois seulement avant l’événement, alors que nous traînions nos pas sur le pavé des rues de la vielle ville de Mostar, et sur le fameux pont où, s’élançant de lui en vertige vers les eaux vertes, de jeunes bosniaques rivalisaient d’exploits, comblant ainsi la voracité de nos appareils photo.
Qui donc alors, entre deux verres de çay, à l’ombre rafraîchissante d’une mosquée, pouvait en ces instants seulement imaginer, qu’en ce même endroit que les dieux semblaient avoir pris comme “pied à terre”, une sauvage et bestiale guerre raciale, inspirée d’une torpeur issue des profondeurs insondables de la nature humaine, allait nous rappeler par telle brutalité, le pire de celle-ci.
Ce n’est donc pas parce qu’il n’y paraît rien, que rien ne se prépare, et il nous faut surtout considérer ici que dans tous les cas, l’événement fut précédé par une logique des faits qui l’annonçait, mais dont les concernés ont délibérément ignoré les alertes.
En ce début de l’année 1789, les aristocrates ont-ils imaginé la tourmente qui allait les emporter, alors même que le pays connaissait des difficultés qui la laissaient prévoir ?
En ce début de l’année 1978, deux ans seulement après les fastueuses célébrations de l’empire dont il s’était auto-proclamé le souverain, le sha d’Iran si certain de sa puissance, pour traiter ses opposants avec le plus total mépris, s’imaginait-il n’en être qu’à quelques mois seulement d’une fuite rocambolesque, le condamnant à l’abdication ? Ceci, alors même que des cortèges sans fin, montraient que la plus violente des répressions, ne viendrait pas à bout de la détermination de ceux auxquels la mort coûtait moins, que leur négation.
En cette année 2010, ceux qui, abandonnant toutes les urgences qui sont à leur charge, se préparent fébrilement à la course au fauteuil élyséen, imaginent-il seulement une seconde, que cette course pourrait ne pas avoir lieu, précédée qu’elle serait par l’événement ?
Comprenons finalement que c’est précisément à la faveur de la persistance du mépris de ses signes annonciateurs, que selon la logique des choses, l’événement devient tour à tour, possible, puis probable, puis inéluctable. Ceci, alors qu’une raison s’employant à le prévenir, et s’engageant à son évitement, le rendrait certainement impossible, mais observons le bien, frustrerait par cela même notre humanité, d’une rupture nécessaire à sa marche.
Tout ceci signifie clairement que, c’est par la déraison qui accompagne ses prémisses, que l’événement se trouve inscrit dans une procédure nécessaire, celle par laquelle s’opère le devenir même de notre humanité. Si donc il n’était les cruautés susceptibles d’en découler, nous pourrions presque nous consoler en nous disant que l’insignifiance actuelle de la classe politico-médiatique, face aux difficultés de la société, relève en fait d’une normalité, celle d’une histoire de notre humanité dont la dynamique se trouve établie par les crises successives qui fatalement, la traversent.
Ceci étant, nous pourrions souhaiter et supposer que le devenir de notre humanité, puisse être paisiblement assuré par une évolution graduelle et sans heurts, de ses structures sociales, pour nous éviter la tourmente des “grands soirs” exaltés, qui jalonnent son histoire. C’est ce qu’espérait en son temps le président Giscard d’Estaing, contestant la pratique bien française selon lui, de la “table rase”. Mais prenons conscience ici, que les éléments cohérents d’un véritable fait social novateur, ne valent justement comme tels que selon cette cohérence, et qu’ils ne sauraient être les objets d’une acquisition par étapes successives de chacun d’eux, puisque sans signification isolément, ils ne répondraient à aucune nécessité pouvant justifier l’occasion de leur acquisition. C’est ce “quantum“ minimal de dispositions, nécessaire à une évolution significative de notre société, qui condamne cette évolution à ne pouvoir se faire, que par le dénouement de crises.
Si par exemple nous envisagions de procéder à une démonétisation, au moins partielle, de notre société, ceci correspondrait à un véritable progrès compte tenu que la finance, qui au départ, est sensée être un instrument du développement, pose désormais dans bien des cas, plus de problèmes qu’elle ne permet d’en régler. Mais, les dispositions d’accompagnement d’un tel projet posséderaient tant d’implications dans les domaines les plus variés, qu’elles ne manqueraient pas de mobiliser contre elles de fortes oppositions d’intérêt. Ce n’est donc qu’à la faveur de l’autorité exceptionnelle que confère à un dirigeant, une période de crise, qu’une telle mesure peut-être appliquée.
Compte tenu maintenant, de l’ampleur des dispositions qui devraient être prises, pour que notre société aille mieux, soyons conscient que ces bouleversements ne seront jamais le produit d’un ronronnement parlementaire. Nous sommes donc bel et bien et par la force des choses, comme dans la France de 1788, comme dans l’Europe de 1913, comme dans la Russie de 1916, et comme dans l’Allemagne de l’Est de 1988, à la veille de “l’événement”, c’est à dire à la veille du dénouement spectaculaire, on pourrait dire “péléen”, d’un ensemble d’antagonismes crispés. Ceci bien sûr, sans pouvoir dire à ce jour quand exactement il se produira, ni quelles seront ses formes et ses implications, mais en le sachant inéluctable.


Avril 2010
Richard Pulvar

mercredi 14 avril 2010




INDIVIDUALITE ET SOCIETE


Notre humanité se révèle telle, parce qu’elle est constituée selon une “contradiction”. Cette proposition ne devrait pas surprendre, car il s’agit là du cas normal de tout fait constitué. Une constitution est en effet une disposition qui confère à ce qui demeure bien une “pluralité” de parties, le caractère d’une “singularité”. Cette constitution qui confond donc en elle-même, les caractères contradictoires du simple et du multiple, et qui rassemble en une “généralité”, un ensemble de “particularités”, ne peut manquer de posséder une dualité d’aspects contraires, la singularité de sa totalité, et la pluralité de ses particularités, témoignant d’un antagonisme fondamental qui la sous-tend.
Nous venons d’évoquer ainsi, le fait d’une “contradiction fondamentale universelle”, qui règle notre univers en tous ses aspects, puisque celui-ci est visiblement constitué, et qu’il l’est de parties qui le sont forcément elles aussi. Comprenons bien que si les parties de notre univers ne relevaient pas de la même contradiction que lui, ne pouvant ni être “constituées”, ni être réciproquement “restituées”, autrement dit, ne pouvant ni “apparaître”, ni “disparaître”, elles seraient éternelles et immuables et de plus, impropres à toute combinaison entre elles, parce qu’elles ne seraient pas détectables les unes pour les autres. Elles ne posséderaient en effet, aucune particularité puisqu’il s’agit en celle-ci, telle que clairement signifiée, d’une qualité de ce qui se trouve constitué de parties, et qui le détermine à se constituer à son tour, comme la partie d’un ensemble supérieur.
Ce n’est pas l’instant pour l’établir, mais notons au passage que cette contradiction fondamentale, n’est rien d’autre que ce que la grande Tradition désigne autrement par “ El ”. Comprenons maintenant qu’il ne s’agit pas là d’une contradiction “statique”, telle qu’étant à l’équilibre, il ne pourrait et n’aurait lieu de rien “ se passer” selon elle. Car, ses réalisations seraient de ce fait, immuables, donc éternelles, autrement dit “hors du temps”, selon le sens d’origine de ce terme. En fait, l’inscription “dans le temps”, de la pluralité des objets de notre univers, témoigne du caractère dynamique de la contradiction qui les sous-tend, et telle qu’elle se manifeste dans le mouvement d’un pendule qui traduit ce temps. Ce mouvement se réalise en effet, selon la contradiction “dynamique”, ou si l’on préfère “bi-nominale”, d’une force de gravitation, le poids du à la masse du pendule, et d’une force d’inertie, celle que cette masse acquiert par sa vitesse. La manifestation de chacune de ces forces se produit alors par “alternance”, par le fait qu’à la “réalité” maximale de l’une, donc à sa “potentialité” nulle, correspond la potentialité maximale de l’autre qui, de la sorte, peut contredire la première et se réaliser à son tour.
Il est facile d’admettre qu’il y a contradiction, entre la force par laquelle (le Mon), depuis le couple jusqu’à la nation, et peut-être demain “l’internation”, notre humanité tend à ne plus faire “qu’un”, et celle par laquelle (le Nom), selon la quête d’autonomie logique de “l’existence” même de ses individus (ex-sistere, se tenir hors), elle tend à se maintenir en “plusieurs”. Dès lors, puisque comme objet de l’univers, elle se trouve inscrite dans le temps, la contradiction dynamique qui la sous-tend implique que par alternance, notre humanité tend vers la réalisation maximale de la solidarité de ses parties en un tout, ou vers la réalisation maximale de l’individualité de ces mêmes parties, en une disparité.
Participent à ces forces antagonistes, les humains eux-mêmes par leur comportement. Disons pour faire simple ici, que ceux dont la sensibilité les conduisant à une préoccupation quant à la nécessaire solidarité de la société, exercent en ce sens, se disent “socialistes”, et ceux dont la sensibilité les conduisant à une préoccupation quant à la nécessaire autonomie des individus, exercent en ce sens, se disent “libéraux”.
Soyons clair, il existe au départ, une égale positivité à se déclarer socialiste ou libéral, étant entendu que solidarisés comme étant les deux aspects opposés d’une seule et même chose, c’est à dire de la contradiction même qu’ils forment, comme la gauche et la droite d’un même objet, il ne saurait en aucune façon se produire le fait de l’un sans le fait de l’autre. Ceci, pas davantage qu’il ne saurait se produire que la gauche ou que la droite d’un objet. Tout l’échec marxiste aura été du à des gens convaincus que l’humanité aurait pu n’être que socialiste, et toute la dévastation actuelle est la conséquence de gens encore convaincus, que notre monde peut ne se nourrir que de libéralisme.
En fait, être socialiste ou libéral ne constitue ni une qualité ni un défaut en soi. Seule la cohérence ou l’incohérence occasionnelle de l’une ou l’autre attitude, lui donne une valeur positive ou négative. Etre libéral sous un régime stalinien constituait une attitude d’autant plus positive, qu’elle était extrêmement périlleuse. Mais, dans notre monde d’aujourd’hui tel que nous le constatons, où toutes les institutions de solidarité, couple, famille, quartier, école, église, entreprise, syndicats, partis politiques, nations, et organisations internationales, se trouvent en permanence si sévèrement chahutées, il faut manquer totalement de pertinence, ou être de la pire mauvaise foi, pour soutenir encore comme le font les tenants du pouvoir actuel, que ce dont notre société à besoin c’est de libéralisme !
Aujourd’hui, pour tous ceux dont la raison ne se trouve pas soumise à une prise de position partisane, il apparaît très clairement que ce dont notre société à besoin, c’est bel et bien d’une très ardente “re socialisation”.


Avril 2010

Richard Pulvar

lundi 12 avril 2010

Quête du mieux et quête d'humanité

L'avenir, dont les implications logiques sont humiliantes pour eux, ne séduit pas les Français, qui ne se proposent désormais, que de profiter au mieux de l'instant présent, tant que cela peut encore se faire. Car, comment expliquer autrement que dans un pays où tous les voyants de l'économie et de la vie sociale sont au rouge, on puisse encore s'employer à tant d'insignifiance ? Il n'est qu'a constater dans quels endroits se développe désormais le débat public, pour prendre conscience que la substitution d'une préoccupation quant aux turpitudes d'un couple narcissique, en lieu et place d'un attachement au règlement des incertitudes paralysantes qui nous étreignent, n'est finalement qu'une façon admise, de ne rien vouloir savoir.
Faut-il que l'imaginaire de ce peuple, quant à ce par quoi il est, et quant à ce pour quoi il est, autrement dit, sa nécessaire inscription afin de sa détermination, entre un mythe fondateur et un mythe du progrès, ait été gravement atteint, pour que la résignation puisse passer maintenant pour de la raison. Car c'est bien cette démobilisation, ce doute quand à notre capacité sur les choses, qui nous vaut de subir l'obscénité de cette classe dirigeante, qui manque constamment d'assumer ses échecs, en les justifiant par une prétendue insuffisance des citoyens. Ces gouvernants ont développé pour cela, toute une panoplie de "bobards", dont celui selon lequel tout irait mieux, si nous acceptions les dispositions de leur modernité, telles que la précarité, rebaptisée "flexibilité" pour l'occasion, qui par l'incertitude qu'elle emporte logiquement, prive tant de gens de pouvoir s'envisager positivement dans l'avenir. Il fallait donc comprendre que tout irait mieux, si nous acceptions tous les jours, des dispositions nous rendant l'existence de plus en plus difficile.
Un autre de ces bobards, celui selon lequel, par les activités qu'ils ne manqueraient pas de développer avec davantage d'argent, le surenrichissement des plus riches, pourrait in fine constituer une faveur pour les plus pauvres, a quant à lui vécu, car nous avons tous vu !
En fait, toute cette déraison tient à cette "croyance" autant stupide que bornée, selon laquelle il n'est possible de créer de la richesse, qu'à condition et à la faveur de la modération des plus nombreux, autrement dit, qu'il n'est possible de faire un pays riche, qu'avec des pauvres.
Manquer de comprendre, ou ne pas se souvenir que le meilleur du présent ne se peut pour nous, qu'à condition que soit poursuivi le meilleur pour l'avenir, c'est manquer de considérer que nous sommes fondés comme "humains", par la quête d'un ordre préférentiel des choses, établi selon un arbitraire affectif, et qui nous détermine en permanence à une quête du mieux, signifiée d'ailleurs par notre station debout. Car, cette préférence arbitraire quant à l'ordre des choses, constitue bien un caractère d'humanité puisque les animaux, qui se moquent des règles comportementales qui sont les nôtres, et qui n'ont aucune préoccupation de progrès, survivent malgré cela. Dès lors, manquer de poursuivre résolument la quête du mieux social, sous des prétextes de raisons qui ne sont qu'autant de facilités, concédées à l'incapacité de dirigeants mal inspirés, c'est renoncer clairement à ce qui fait fondamentalement de nous des humains.
Le déni de progrès, telle est bien la plaie de notre époque.