vendredi 3 février 2012

SCIENCE ET CROYANCE




L’opposition séculaire dans laquelle s’est trouvée entretenue, dans cette civilisation qui est la nôtre, ces deux exercices de la pensée humaine que sont la science et la croyance, ce qui ne fut pas le cas partout ailleurs, est telle, qu’il ne serait pas inutile, puisque la première fut à l’origine d’une contestation de la seconde, qui pour cette raison, a un instant contesté la légitimité de l’exercice même de la première, de vérifier dans quelle mesure la science, puisque c’est en fait son rôle, peut rendre compte de la croyance, c’est à dire nous expliquer pourquoi son fait. Est-ce que vraiment, comme nous aurions aujourd’hui tendance à le croire, nous nous trouvons là, dans deux démarches définitivement inconciliables, qui ne permettent en aucune façon la participation de l’une, à l’autre ?

Nous sommes à une époque bien curieuse où, après que nous ayons cessé de croire aux dieux, en constatant que leur célébration millénaire n’avait en rien soulagé l’âpreté de nos existences, la persistance de notre besoin fondamental d’espérer un mieux “ à venir ”, nous a logiquement conduit à ne plus croire qu’en la science, comme moyen d’accéder à ce mieux. Ce changement d’itinéraire de notre quête d’autre, s’est fait d’autant plus facilement qu’à la différence d’enseignements qui ne situaient le bien être que dans un au-delà merveilleux, les bienfaits de la science pouvaient quant à eux, être escomptés dès maintenant, et ici-bas. D’autre part, les explications de cette science quant à la raison des choses, prolongeant la compréhension intuitive que nous en avions, nous ont finalement et curieusement parus bien plus digne de “foi”, que l’extraordinaire mythologique et impalpable, des énoncés religieux. Par cette différence d’attitude quant à la façon d’envisager notre monde, nous avons accédé à cette ère rassurante de rationalisme scientifique où, enfin libérés de ces outrances dogmatiques qui ne nous vouaient qu’à l’expiation d’une faute originelle sur cette Terre, nous y avons découvert un mieux-être possible. Ceci, grâce à la maîtrise des choses que nous permettait d’obtenir une investigation méthodique, et sans a priori, menée sur celles-ci.

Il est incontestable aujourd’hui, que des énoncés scientifiques vérifiés par l’expérience de pratiques mise en œuvre à partir d’eux, nous ont permis d’obtenir une formidable efficacité opérationnelle sur les choses qui nous entourent, et ont entraîné une transformation considérable de notre mode de vie, dont la positivité tient à ce qu’elle s’inscrit dans ce que nous considérons comme étant une logique des temps. C’est pourquoi nous inclinons à penser que, par delà quelques égarements occasionnels, toujours susceptibles d’intervenir dans son parcours, mais qui ne sauraient la dévoyer définitivement, la science demeure par nature même, apte à nous rendre compte avec exactitude, des différents aspects de l’univers. Ceci, d’autant que jusqu’à ce jour, nous demeurons convaincus pour la plupart d’entre nous, que tels que nous les constatons, ces aspects dits objectifs, ne doivent rien à notre imaginaire.

Cependant, il se pourrait fort bien que notre vigilance ait été prise en défaut, à cause de la grande confiance en elle, que nous inspirent les résultats obtenus grâce aux énoncés de la science, et que notre acquiescement de ceux-ci, ne soit finalement pas mieux fondé que celui qui en son temps fut le nôtre, des énoncés religieux. Ceci pour dire qu’il se pourrait fort bien qu’il ne s’agisse dans l’un et l’autre cas, que de “croyance”, quant à la représentation religieuse ou scientifique, que nous sommes amenés à nous faire, des aspects non directement évidents des réalités de l’existence.

Observons en effet que, dans notre entreprise, bien des résultats concrets ont été obtenus par la mise en œuvre de techniques élaborées sur la base de concepts scientifiques qui, par la suite, se sont révélés être inexacts. C’est ainsi que la conception, la mise au point, et l’exploitation pendant des décennies, de nombreux types de machines à vapeur, qui à l’origine étaient dites “machines à feu”, s’est-elle faite sur la base du concept incertain d’un “fluide calorique”, censé les traverser de part en part, à la façon dont un fluide hydraulique traverse un moulin à eau. Ce concept de fluide calorique, qui nous posait déjà une difficulté de représentation, et qui fut développé par le grand Carnot, fut abandonné plus tard pour faire intervenir dans la résolution thermodynamique de ces machines, celui encore plus spéculatif et ésotérique, “d’entropie”. Or, bien qu’il fut dès lors établi que le concept de fluide calorique, prétendait une chose qui n’existait finalement pas, les machines, toutes conçues autour de cette idée ont, quant à elles, continué de parfaitement fonctionner.

De la même façon, c’est en envisageant la nécessité mécanique de propagation d’une onde dans “l’éther”, et en établissant une analogie entre cette propagation et la transmission du mouvement par un train d’engrenage, que le grand Maxwell a formulé ses fameuses équations sur l’électromagnétisme. Aujourd’hui, le concept d’éther, qui a pourtant sous-tendu son raisonnement, a été abandonné parce qu’il était devenu encombrant. Mais, il n’empêche que des appareillages de toutes sortes, conçus pour des ondes censées se propager en lui, continuent eux aussi, de parfaitement fonctionner. Citons également la relativité du grand Einstein, que certaines observations quant à la vitesse de la lumière, tendent déjà à malmener, alors que sa fameuse formulation d’équivalence entre la masse et l’énergie, qui fait justement intervenir cette vitesse de la lumière, constitue la proposition à partir de laquelle se sont développées, les armes et les industries nucléaires qui constituent pourtant bien des réalités.

Tout ceci fait apparaître d’une façon très surprenante, mais pourtant clairement, que ce n’est pas parce qu’un raisonnement scientifique permet, par les démarches pratiques qu’il implique, d’obtenir à un moment donné de bons résultats, qu’il est pour autant incontestable. Nous pouvons d’ailleurs pour nous convaincre de cela, constater le cas des “tradi-praticiens” qui tout autour de la planète prodiguent leurs soins, sans autre justification scientifique qu’une évocation des esprits, et qui selon ces énoncés, obtiennent pourtant eux aussi, des résultats. Ainsi, une théorie scientifique peut elle se trouver formellement vérifiée par l’expérience, nous laissant ainsi croire en sa véracité incontestable, puis se trouver totalement infirmée une autre fois, par d’autres expériences. Où se situe donc la vérité scientifique ?

Admettons maintenant qu’à l’époque où les ingénieurs traitaient d’un fluide calorique, sans douter le moins du monde de sa réalité, il ne s’agissait en la conviction qui était la leur de l’existence réelle de celui-ci, que d’une “croyance”, c’est à dire de la conviction de la réalité d’un fait non directement constaté, mais dont la supposition se trouvaient étayée par le constat de manifestations lui étant attribuées. Ceci, étant bien entendu qu’aucune mise en évidence formelle de ce fluide n’aurait été possible, telle que par exemple, il aurait pu être contenu et observable dans un récipient. Observons alors que pareillement, bon nombre d’objets extraordinaires, révélés selon les résolutions mathématiques de notre science moderne, demeurent strictement hypothétiques, dans la mesure où ils ne sauraient en aucune circonstance faire l’objet d’une mise en évidence formelle. Ainsi en est-il par exemple, pour ne citer que certains des plus extravagants, des neutrinos ou des quarks. Mais soyons conscients qu’il en est déjà ainsi du simple “électron”, même si, compte tenu de l’étendue des nombreuses applications issues de ce concept, nous l’envisageons désormais comme si sa réalité concrète avait été formellement établie, autrement dit comme si quelqu’un en avait déjà vu un. Car, pour considérer ce cas emblématique parmi d’autres, il demeure que par delà les manifestations que nous supposons être celles de sa présence ou de son passage dans certains objets, ce en quoi consiste fondamentalement un électron, tel qu’il est supposé être une particule concrète de matière, ne pourra jamais faire l’objet d’une mise en évidence formelle. Ceci signifie qu’en aucune façon, il ne nous sera possible d’isoler, d’observer, et de décrire ce grain de matière, comme nous le ferions par exemple pour un grain de sable.

De tout cela, nous devons convenir que, face à de nombreuses propositions scientifiques qui résultent, non pas de l’observation directe des choses, mais de constructions intellectuelles qui se proposent de décrire une réalité imperceptible de celles-ci, laquelle ne peut être comme telle, qu’une réalité supposée, nous ne sommes là qu’en présence d’intimes convictions, même si celles-ci se trouvent sérieusement argumentées. Il s’agit donc bien, autrement dit, de “croyances” quant à une réalité incertaine des choses.

Pour bien saisir sur quoi se fonde cette proposition, observons que la science que nous envisageons spontanément comme si elle était une, se développe en réalité selon deux catégories bien distinctes d’investigations, dont les implications sont différentes.

Il y a tout d’abord le cas du simple recensement des choses et de la description de celles-ci telle qu’elles se “présentent” simplement à nous, qui constitue l’objet d’une science “descriptive”, dont il nous faut remarquer et retenir qu’il s’agit d’une science de “l’actuel”, en ce sens qu’elle n’a rien de spéculatif, autrement dit, rien de “prévisionnel”. Cette catégorie de la science, la descriptive, ne pose pas de problème.

L’autre cas d’investigation scientifique, est celui d’une mise en évidence de choses qui sont cette fois situées hors de notre champ de perception directe, par un raisonnement, et qui constitue quant à lui l’objet d’une science “démonstrative” qui elle, pose un vrai problème. Ceci, parce que par une accumulation de données qui nous sont intuitives, et que nous nous passons de justifier en considérant que la véracité de leur signification va simplement de soi, la base axiomatique à partir de laquelle se développe cette science démonstrative est devenue par trop considérable, pour que ses propositions ne s’en trouvent pas fragilisées.

Considérons en effet à ce sujet, le cas de la simple notion “d’unité”, dont nous sommes a priori tous convaincus de bien comprendre ce dont il s’agit, selon toutes ses implications. Partant de là, le fait pour nous d’envisager tout objet comme étant “un”, alors même que nous le savons parfaitement constitué d’une pluralité de parties, autrement dit que nous le savons en être “plusieurs”, ne suppose même pas qu’il y ait débat quant à cette ambivalence fondamentale, tout à la fois singulière et plurielle, du fait de toute unité.

Or, s’il se confirme selon cette ambivalence, que le simple ne serait en fin de compte, qu’un aspect occasionnel du multiple, ceci laisserait entrevoir que dans sa singularité, et aussi élémentaire que puisse nous sembler une entité quelconque, celle-ci ne peut manquer d’être déjà constituée, selon un autre de ses aspects. Ainsi, en ne se laissant pas abuser par une approche intuitive et réductrice du fait d’unité, et en considérant que celui-ci masque en fait, une complexité, il apparait simplement que la quête de la particule strictement élémentaire, c’est à dire de celle qui ne serait “constituée” en aucune façon, puisque toute constitution suppose une pluralité de parties, et qui obsède encore les physiciens jusqu’à aujourd’hui, est désespérément vaine. Et ceci, en comprenant qu’il ne peut rien exister, qui en soit constitué.

Nous constatons par cet exemple que dans notre investigation scientifique, il existe déjà une incertitude quant aux données de base elles-mêmes telles que le simple et le multiple, à partir desquelles se développent nos raisonnements, et qui demeurent généralement incontestées, parce que nous ne sommes en rien préoccupé à priori d’en établir l’ambivalence. Mais, comprenons bien que s’il n’avait existé depuis toujours, cette base axiomatique de données fondamentales nous permettant d’initialiser nos développements, et si nous avions été par trop préoccupés de rigueur scientifique dès les prémices de notre quête historique de la connaissance, hors des simples évidences objectives, nous n’aurions rien pu établir comme vérité par quelque démonstration que ce soit. Car nous aurions été engagés dans une procédure sans fin, de justification des données à partir desquelles se font les démonstrations, par des éléments devant à leur tour être justifiés, et ainsi de suite.

Ce n’est donc qu’à condition de se passer de justification quant aux notions intuitives qui sont les nôtres, que nous avons pu établir par démonstration, des vérités à partir d’elles. Cette facilité nous a permis de concevoir autour de nous, un univers rassurant d’objets certains, c’est à dire d’objets dont il ne faisait aucun doute pour nous, que les caractères fondamentaux que nous leur reconnaissions, étaient objectivement les leurs, et non pas des produits de notre “imaginaire”, dus à une “interprétation” de leurs différentes significations, autrement dit des “croyances”. Mais c’est précisément là où nous nous trompons...

Comprenons maintenant que, si cette convention que constitue la base axiomatique de nos raisonnements, ne nous pose pas trop de problèmes, quant à la justification des objets ou des phénomènes courants de notre environnement qui, nous étant naturellement perceptibles, participent en ce sens à l’ensemble de ce qui nous est “présent”, autrement dit à “l’actuel”, il en va tout à fait différemment quant à vouloir pénétrer l’intimité secrète de la matière ou, explorer les confins de l’univers. Car, il s’agit en fait en ces lieux situés hors de notre champ de perception, de ce qui constitue l’en deçà, et l’au-delà, problématiques l’un comme l’autre, de cet actuel.
A cet instant de notre développement, il nous importe de préciser la signification exacte que nous donnons ici au terme “actuel”, en disant qu’à la différence de son “activité” qui constitue l’ensemble des actes dont un être est le sujet, son “actualité”, c’est la contradiction d’actes que constitue le rapport de ceux dont il est l’objet, à ceux dont il est le sujet, et dont se réalise cet être lui-même en un fait alors temporel. Ceci, en comprenant bien qu’il ne se peut pas d’être, qui ne soit tout à la fois l’objet d’autre, et le sujet d’autre. Tout être est donc actuel par définition, et ce que nous désignons ici comme étant nominalement “l’actuel”, constitue le domaine où s’exerce l’être. Notons alors que hors de celui-ci, c’est à dire à l’en deçà et à l’au-delà de lui, se situe un domaine exempte d’actes, d’où ceux-ci se peuvent seulement, qui est autrement dit “ex-act(e)”, hors de toute actualité, et donc hors du temps, et qui constitue ainsi un lieu “d’exactitude”.

Par rapport à ces notions temporelles qu’habituellement nous manquons de considérer, nous pouvons encore formuler tout cela en disant que la science descriptive est une science de la simple “vision” des choses, autrement dit de tout ce qui peut être “montré”, c’est à dire signifié “dans l’instant” avec certitude, parce qu’il s’agit tout simplement de “ce qui est”. Ceci, alors que la science démonstrative est tout à la fois, une science de la “prévision”, et de la “révision” des choses. Il s’agit autrement dit, d’une science de tout ce qui ne pouvant être directement “montré”, selon l’objectivité physique des choses, nécessite d’être “démontré”, c’est à dire signifié “dans le temps”, et non pas dans l’instant, selon l’antériorité d’une cause, et la postérité d’un effet, pour pouvoir être établi, et qui ne peut l’être que de façon incertaine, puisqu’il s’agit alors non pas, de décrire ce qui est, mais d’imaginer “ce qui doit être”.

Insistons bien ici sur le fait qu’à la différence de ce qui se trouve simplement montré, le démontré ne peut en aucune façon être l’actuel. Car, la science démonstrative à pour objet d’établir par “révision”, l’en deçà de l’actuel, autrement dit l’ensemble des faits préalables tels qu’ils se trouvent justifiés en vue de ce qui “est”, et par “prévision”, l’au-delà de l’actuel, c’est à dire de l’ensemble des faits consécutifs tels qu’ils se trouvent justifiés quant à eux, à partir de ce qui est.

Nous accédons ainsi à un constat extrêmement problématique par rapport à notre vison commune des choses et nos habitudes conceptuelles, à savoir que les différents aspects non directement évidents des choses, selon notre perception de celles-ci, ne peuvent participer de leur réalité actuelle, car “l’en deçà” de ce qui est, autrement dit de “l’être”, lui est “passé”, et “l’au-delà” de l’être, lui est “futur”. Ceci à une implication fondamentale aux développements innombrables, à savoir que le passé d’un être lui est “sous-jacent”, alors que son avenir lui est “adjacent”...

Ceci étant, nous devons déjà comprendre par ce constat que, n’ayant pas même pour objet d’établir l’actuel perceptible, c’est à dire tout ce qui formellement “est”, déjà et encore, et qui constitue l’objet de la science descriptive, la science démonstrative ne peut en fait rendre compte dès le départ, d’aucune réalité, compte tenu que celles-ci évidemment “sont”, et ne peut rendre compte que de la “potentialité” de ce qui, selon elle, “doit être”.

Nous venons d’établir que la science démonstrative n’ayant pas pour objet ce qui est, elle ne peut nous signifier que ce qui, sauf erreur, doit être. Comprenons bien dès maintenant, que c’est précisément dans le fait qu’elle ne traite pas du champ de l’erreur, que se situe curieusement son insuffisance. Car, il se trouve en réalité que, par le fait d’une dynamique de tendances contradictoires exerçant sur les choses, laquelle constitue fondamentalement le phénomène selon lequel il se développe du temps, la “constance” des choses qui est la résultante même de leur exactitude, se trouve contrariée par une “circonstance” de celles-ci. Ceci, de telle sorte que d’une façon générale, il ne “se forme” dans notre univers, que selon une contradiction de ce qui normalement “doit être”, c’est à dire de “l’exactitude” des choses, et qu’en conséquence, aucune des réalités de cet univers, ne se peut selon cette exactitude.

Tout ceci revient à dire que s’il est un domaine hors du temps et hors de l’être, où se peut l’exactitude, le domaine temporel des êtres où cette exactitude se trouve contrariée, constitue fondamentalement par cela, celui de “l’erreur”.

Ce rapport fondamental de “l’erreur” au “temps” demeure habituellement méconnu. Mais, notons bien que c’est ici que science et croyance se rejoignent, car ce que nous évoquons ainsi, n’est rien d’autre que l’objet d’un des tout premiers enseignements de la grande Tradition, qui fait état d’un monde “spirituel” de “l’exactitude”, situé au-delà des formes actuelles de l’être, et que par habitude nous désignons tout simplement comme étant “l’Au-delà”. Et ceci, en opposition à un monde “temporel” de “l’erreur” qui est quant à lui, notre monde “d’ici bas”.
Si la science démonstrative ne peut que proposer ce qui doit être, en lieu de ce qui est, c’est parce que, même si ses démonstrations ne peuvent être établies que selon le schéma temporel de cause à effet, ses formulations courantes en font cependant une science “d’exactitude” qui, notons le bien, peut être rapprochée en cela des préceptes religieux qui, eux aussi, traitent de l’exactitude de ce qui doit être.

Observons en effet, qu’un des caractères particuliers de la science démonstrative, relève du fait que par ses formulations, elle implique “immédiatement” la postérité d’un effet, à partir de l’antériorité d’une cause, en ignorant par cela superbement le temps nécessaire au fait du second, à partir de la première. C’est ainsi qu’en proclamant l’égalité entre le résultat d’une opération, et l’opération elle-même, comme dans la formulation 2+2 = 4, elle établit une stricte identité entre l’opération telle qu’elle s’engage, 2+2, à l’antériorité de son fait, et l’opération telle qu’elle est accomplie, 4, à la postérité de son fait. Or, il doit être clair pour nous tous que dire “je peins le mur”, n’équivaut strictement pas à dire “le mur est peint”, même si nous savons qu’il le sera finalement. En admettant que tel qu’il se trouve constitué, autrement dit “formé” dans son unité, un tout contient quelque chose de plus que la disparité préalable de ses parties, nous comprendrons que ce que 4 contient de plus que 2+2, c’est une “valeur d’opération”, qui est concrètement une “valeur de forme”, homogène à une “durée”, que les formulations ignorent totalement. Ceci, alors qu’elle n’a pourtant rien d’insignifiant, puisque ce n’est rien d’autre que cette quantité de “temps” qui, selon un phénomène que nous disons “température”, se trouve mise en œuvre dans des manifestations énergétiques, telles que celles qui accompagnent la réduction d’un tout, en une pluralité de parties, et que nous disons à cause de cela, “exothermiques”.

Retenons de tout cela, qu’aucune réalité formelle ne peut se former immédiatement, pour pouvoir concrétiser les formulations d’exactitude de la science démonstrative, et qu’en ce sens, les propositions de cette science demeurent formellement invérifiables, ce qui fait que leur acquiescement relève bien ainsi d’une forme de croyance. Notons à cette occasion que, compte tenu du rapport contradictoire du “peut-être” face à “l’être”, et même s’il est supposé décrire l’être, dans la mesure où il participe du peut-être, le “probable” bien sûr n’est pas, mais surtout, qu’il ne sera jamais “tel que prévu”. Car, étant supposé en lieu d’un constat impossible de l’actuel, il ne peut être établi que selon des formulations d’exactitude, qui ne peuvent rendre compte d’aucune réalité temporelle. Le probable relevant ainsi dans ses formulations, de l’exactitude, et non pas du réel, nous pouvons dire de toutes ces théories probabilistes à la mode, que, dans leur complexité qui est telle que plus personne n’y comprend rien, elles décrivent ce qu’elles veulent, mais certainement pas la réalité.

Rappelons à ce sujet que, ce qui nous fait prendre bien des propositions scientifiques pour des faits avérés, alors qu’elles n’ont jamais cessé de n’être que des suppositions, c’est qu’elles nous semblent être formellement vérifiées par les opérations qui sont rendues possibles à partir de leurs concepts. Cependant, il est manifeste que, par les “progrès” de la science elle-même, nombre de ces suppositions se sont trouvées un jour fatalement infirmées, après qu’elles nous aient pourtant semblé largement confirmées par l’expérience.

Observons bien ici ce paradoxe qu’emporte en elle-même la notion de “progrès”, telle qu’elle se trouve appliquée à la science démonstrative. Car selon ce progrès, les propositions incertaines de ses démonstrations, mais qui nous semblent un moment être définitivement confirmées par l’usage, sont cependant condamnées à être infirmées tôt ou tard par d’autres démonstrations ou un autre usage. C’est d’ailleurs précisément par le fait que des concepts vérifiés d’hier, tels que le phlogistique, le calorique, ou l’éther, sont devenus des erreurs aujourd’hui, que nous sommes en mesure de constater qu’il y a du progrès dans cette science.

Ce constat nous rappelle non seulement, que la résolution de certaines réalités proposées comme telles par cette science demeure artificielle, mais il révèle surtout le caractère fondamentalement limité dans le temps, de la cohérence des propositions scientifiques qui concernent les aspects non directement évidents des choses.

Tout se passe en effet comme si nous étions condamnés à ne pouvoir que tenter de nous approcher de ces aspects cachés des choses, selon une succession de propositions qui s’infirment les unes après les autres, mais sans jamais devoir y accéder. Comprenons alors que c’est précisément en cette prétention qui leur est commune, de décrire l’aspect caché des choses, c’est à dire tout à la fois, l’en deçà “immanent” aux formes de l’actuel dont elles procèdent nécessairement toutes, et l’au-delà “transcendant” ces mêmes formes, auquel celles-ci aboutissent fatalement, que la science démonstrative s’identifie fondamentalement à la croyance religieuse, avec ceci que la croyance, elle, ne prétend pas démontrer ses propositions par de savantes formulations.

Ce qui est évoqué ici, c’est le fait que par des propositions quant à ce qui doit être, que, compte tenu de son inconsistance formelle, la science ne peut tenter de vérifier que par ses propres développements intellectuels, et qui ne recueillent alors notre acquiescement d’enfants ébahis, que grâce à l’autorité de leurs auteurs, cette science a dans ces aspects, rejoint le domaine de la croyance dont quelques instants, elle nous avait semblé s’être radicalement détachée.

La science démonstrative nous pose finalement deux problèmes particuliers, elle ne peut pas rendre compte de l’actuel procédant de l’erreur, par ses formulations d’exactitude, et d’autre part, elle ne peut pas davantage rendre compte du domaine de l’exactitude elle-même, parce que située hors du temps, et ignorant par cela toute relation temporelle de cause à effet, ce qu’est l’exactitude, demeure fondamentalement “indémontrable”. Celle-ci ne peut être que décrite, comme pour les préceptes religieux, et toute notre difficulté en ce sens, vient du fait que l’exactitude ne possède aucune “représentation concrète”. Nous découvrirons cependant, au cours d’une prochaine communication, qu’il nous est possible d’en avoir une “présentation discrète”, selon la disparité des choses de notre univers.

Considérons maintenant que dans la mesure où la science démonstrative, qui permet d’établir des révisions et des prévisions, à partir ou en vue des formes de l’être, et selon ses principes, ne saurait rendre compte de ces mêmes principes, qui relèvent de l’exactitude indémontrable, il faut bien que quelque chose d’autre intervienne, comme une perception “intuitive” de la logique des choses, dépassant nos cheminements intellectuels, pour que ces principes puissent être établis.

C’est bien à une telle perception intuitive de l’aspect “secret” des choses, dont il nous appartiendra une prochaine fois d’établir les dispositions de son fait, que nous devons d’être habités, même sans le concours de l’expérience, par ces convictions indémontrables qui constituent la base de notre croyance.

Nous apercevons finalement que science et croyance ne sont pas antinomiques, mais complémentaires, puisque les principes à l’aide desquels nous nous employons à rendre compte des choses de notre univers, n’ont pu être ni montrés, ni démontrés, et partant de là, leur “révélation” à notre conscience, n’a pu se faire que selon le mode de l’intime conviction, qui est celui de la croyance. Rappelons à ce sujet que ce en quoi consiste la croyance, se manifeste bien au-delà des seules préoccupations religieuses, et nous pouvons remarquer à cette occasion que, bien avant qu’aucun n’ait été en mesure d’en fournir une justification logique, nombre de découvertes et d’inventions ne doivent en réalité leur fait, qu’à l’intime conviction préalable de leurs inventeurs.

Ainsi en est-il par exemple du grand Marconi, intimement convaincu que les ondes radioélectriques, alors réputées ne pouvoir se propager qu’en ligne droite, pourraient malgré tout se transmettre par delà la rotondité de la Terre, et qui, se rendant en Angleterre, parvient avec son appareillage à transmettre un message jusqu’en France, à la faveur d’un phénomène qui ne sera identifié que bien plus tard. Ainsi en est-il également du grand Einstein, qui a “senti” l’affaire de la relativité, avant qu’à l’aide d’un ami mathématicien, il ne soit parvenu à la formuler.

En fait, c’est précisément cette capacité à faire parvenir “par-devers” soi, donc de façon “intuitive”, ce qui ne peut être acquis par un constat objectif des choses, et selon un cheminement en nous-mêmes, que certaines traditions désignent comme étant celui d’un “vent interne”, que décrit mine de rien le terme “inventer”. Il se confirme par l’expérience que, bien avant qu’elle ne soit l’objet d’un encadrement et d’un approfondissement scientifique, qui pourrait laisser croire qu’elle ne fait écho qu’à l’objectivité des choses, toute invention est le produit d’une intuition qui en constitue l’occasion, et quant à laquelle nous n’avons bien sûr aucune décision.

La difficulté qui est la nôtre maintenant, quant à la nécessité pour nous d’envisager avec sérénité cette question de la croyance, tient tout d’abord dans le fait que les doctrines religieuses emportent bien trop souvent, des tas de choses qui n’ont rien à y faire, telles que les dispositions par lesquelles certains exercent leur prétention sur les autres. D’autre part, contrairement à la façon dont ils ont été envisagés des siècles durant, qui malheureusement demeure encore celle de certains intégristes, les énoncés ne traitent normalement pas de la réalité des formes de l’être, mais des principes du peut-être qui sous-tendent ces formes, puisqu’ils concernent non pas ce qui est, mais ce qui doit être.

Il apparaît ainsi que c’est bien d’une acception littérale et maladroite de termes, qui n’étaient alors que des métaphores destinées à signifier des principes informels du peut-être, par des formes de l’être qui en relevaient, qui, dans une large mesure, nous ont valu les égarements des exégètes, de sorte que, pour nous réconcilier avec les énoncés religieux, il nous faudrait déjà les rétablir dans leur signification logique.

Que nous faut-il retenir de tout cela ? Eh bien c’est que la science démonstrative tout comme la croyance, et bien que ni l’une ni l’autre ne peuvent le justifier, s’établissent sur le “vrai”, c’est à dire sur l’ensemble des “principes éternels”, qui dans l’acception moraliste des religieux sont alors des “préceptes”, et qui sous-tendent les “vérités”, qui quant à elles, en sont les “formes temporelles”, autrement dit “occasionnelles”. Ceci signifie que si le vrai demeure bien sûr immuable, les vérités quant à elles, ne demeurent telles que pendant une durée déterminée, et c’est précisément cette détermination dans le temps, qui en fait des réalités.

Leur caractère temporel fait que les vérités sont des “déviations” du vrai, autrement dit des “erreurs”, mais qui constituent des approximations qui demeurent un moment suffisantes, d’un vrai qui nous est définitivement inaccessible, puis qui se révèlent ensuite insuffisantes, pour la poursuite de notre investigation, ce qui nous contraint à passer à une suivante. Elles s’enchainent alors selon une résolution cyclique qui est celle du temps, et de telle sorte que nous sommes à la veille de redécouvrir des vérités, qui furent celles d’époques très lointaines.

Ceci pour dire toute la vanité de ceux qui prétendent rendre compte de l’univers selon une vérité de quinze milliards d’années, et la stupidité de tous ces intégristes religieux, qui pensent que les préceptes doivent se traduire selon une forme définitive...


Paris, le 3 fevrier 2012
Richard Pulvar

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