lundi 26 décembre 2011

DU BIEN ET DU BEAU




Un ami, artiste sculpteur, me faisait part du sentiment corrosif d’exclusion, dont souffrent les artistes de la grande diversité des arts, qui n’ont pas la faveur des “media”, au point qu’ils s’interrogent quant à savoir s’ils possèdent encore une place dans cette société.
Je vous fais part ici, de la réponse que je lui ai adressée.

Bonjour Benoit.

Mis à part pour certains aspects commerciaux de l’activité, où il s’agit de privilégier certains “produits”, pour la promotion desquels les “media” sont mis à contribution, pour prétendre, avant même que le public puisse simplement s’en faire lui-même une idée, leur grande valeur, qu’on l’incite ainsi à reconnaitre, ou pour certaines expositions où une affiche d’artistes disparus et de notoriété universelle, doit garantir un nombre suffisant d’entrées, les arts et les artistes, trouvent difficilement leur place en cette société.

Tu parles “d’exclusion”, et c’est très exactement ce dont il s’agit, mais dans le fond, pourquoi, alors que tout va si mal ailleurs, le domaine des arts aurait-il été le seul à se trouver à l’abri des tares “multiformes” de cette société ?

Car, pour que soient logiquement intégrés “les arts” dans la vie sociale, il faudrait déjà qu’il y en ait une...

La rupture fatale du lien social, par cet empoisonnement insidieux de notre société, qu’aura constitué durant toutes ces années, l’exploitation en termes de clientélisme politique, de tous les sectarismes, aura eu pour conséquence dramatique que, chacun dans sa spécificité, se trouve désormais marginalisé par rapport aux autres. Ceci, dans une situation où chacun perd de vue, la totale nécessité de ce qu’est l’autre, précisément tel qu’il est, pour lui, et donc, prétend s’en passer, quand il ne va pas jusqu’à le contester.

Les gens s’excluent ainsi les uns les autres, et s’il n’y a pas un intérêt commercial immédiat à exploiter, pour lequel on provoque alors un énorme battage médiatique, ces gens, volontiers narcissiques, ne manifestent pas spontanément d’intérêt pour ce que font les autres.

Dans le sens large du terme “social”, tel que celui-ci désigne la qualité de tout ce par quoi l’individu se trouve “associé”(socius), avec tous les éléments de son environnement, et particulièrement, avec ses semblables, c’est bien une seule et même “sensibilité” de l’humain, qui lui permet de s’accorder pour le “bien”, avec ses semblables, et pour le “bon” et le “beau”, avec son environnement. Ceci de telle sorte que dans une société “d’égoïstes” telle qu’est devenue la nôtre, c’est cette triste “indisposition” des gens, qui nous vaut tout à la fois, les conflits sociaux irréductibles, les guerres incessantes, les atteintes portées à l’environnement, et l’invasion de toute la “laideur”, qu’il s’agisse de celle de leurs comportements, où celle de leur cadre de vie, pour lequel il ne manifestent aucun intérêt, puisqu’il participe de l’autre.

Une telle société est logiquement une société de la “négation artistique”.

Tu parles très justement de la fonction et du statut de l’œuvre d’art, et de sa capacité à créer du bien être dans une société qui va mal, par son intégration dans le cadre architectural.

Les anciens Egyptiens ignoraient “l’esthétique”, tel que nous comprenons ce terme aujourd’hui, c’est à dire une production décorative de beau, pour cette unique raison. Mais, tout ce qu’ils faisaient, était naturellement beau, tout simplement parce qu’en ce temps là, tous les créateurs, qu’il s’agisse d’œuvres intellectuelles, ou d’œuvres matérielles, les secondes n’étant en fait que les “simulacres” des premières, étaient fondamentalement des “artistes”, qui constituaient ainsi, les personnages les plus importants de cette société.

Ainsi, les statues égyptiennes n’ont jamais été faites pour le décor, mais pour une “fonction” sociale, et par le fait, “religieuse”, bien précise. Elles étaient chargées d’un savoir, de quelque chose qu’elles signifiaient par le “ressenti” dont elles étaient l’objet par les gens, et c’est précisément en ce sens, qu’elles constituaient des œuvres d’art.

Il en était de même des “monuments”, ces constructions du “souvenir”, à fonction religieuse, par lesquelles le peuple se solidarisait en une “conscience unifiée”, selon le sens fondamental de “monu-mentum”, et dont les formes “exerçantes”, étaient conçues à cette fin. Ceci, selon une connaissance de “l’exercice des formes” sur la conscience des fidèles, connaissance que les templiers vont rapporter d’Orient, et qui leur permettra de développer un “art de la construction de la voute” (voluta), comprenant la fameuse “croisée d’ogives”, afin de soumettre par celle-ci les fidèles à la “volonté” divine (voluntas). Il s’agit de cette science qui est connue autrement comme étant précisément celle de “l’envoûtement”, métaphysique dont la réalisation architecturale formelle, en constitue le “simulacre”.

Il en était ainsi également des fresques, et de tous ces écrits en hiéroglyphes, compte rendus historiques ou scientifiques, inscrits dans la pierre ou sur de merveilleux papyrus, tous autant d’œuvres d’art, chargées de significations à fonction sociales et éducatives, telles que celle pleine de poésie, selon une forme qu’on jugerait aujourd’hui, et à tort, inadaptée au sujet, et par laquelle le scribe enseigne à l’étudiant, la façon de calculer la surface d’un cercle.

Ceci, de telle sorte qu’on pourrait dire de l’Egypte ancienne toute entière, qu’elle fut une grandiose œuvre d’art, et que c’est précisément à la richesse de sa production artistique, très élevée dans les heures fastes d’une nation, qu’on perçoit la grandeur de sa “civilisation”.

Ainsi, dans les sociétés sainement structurées, où le bien social s’accompagne du beau environnemental, les artistes deviennent des personnages centraux, et leurs œuvres deviennent essentielles à la vie de la cité. Mais dans les sociétés dissolues comme la nôtre, ils ne peuvent être que marginalisés. Ceci pour dire que nous ne sauverons pas le seul domaine artistique, sans sauver tout le reste, et quant la nouvelle créativité artistique, sera reconnue et célébrée, comme disant notre époque, et vécue comme un élément essentiel du bien être, c’est que cela ira bien mieux…


Paris, le 26 décembre 2011
Richard Pulvar

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